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Dans la première, il réussit à traverser la ligne des vaisseaux ennemis ; il désorganise le pont et ramène en triomphe trois galères ennemies. Dans la seconde, les matelots, découragés par l’absence des Hollandais, se mutinent ; ils refusent de faire voile. Les tentatives de Marnix ne pouvaient avoir de résultat que si elles étaient combinées avec celles de la flotte hollandaise. Cette flotte si attendue ne se montra pas ; elle ne parut que lorsque le pont fut achevé. Sur les instances d’Aldegonde, les états s’étaient décidés à mettre en jugement l’amiral Treslong : ils l’avaient remplacé par Justin de Nassau, fils naturel de Guillaume. La flotte hollandaise vint mouiller enfin dans l’Escaut, sur la côte du Brabant, à Lillo, à trois cent cinquante toises au-dessous du pont : c’était six mois trop tard.

À des travaux tels que ceux du duc de Parme et qui dépassaient de si loin la mesure de l’art de la guerre au XVIe siècle, il fallait opposer des moyens non moins extraordinaires. Le hasard voulut qu’Anvers renfermât un ingénieur qui devait être l’Archimède de cette autre Syracuse : il s’appelait Gianibelli. Il demanda à révéler son secret à Aldegonde. Ces deux hommes s’entendirent bientôt ; ils firent construire en secret ces immenses brûlots, machines infernales que les historiens du temps ont décrites avec une sorte de stupeur : c’étaient quatre vaisseaux dans lesquels on avait construit en maçonnerie une chambre de pierre de quarante pieds de long, où avaient été logées sept mille cinq cents livres d’une poudre préparée par Gianibelli lui-même ; on avait entassé au sommet un monceau de meules, de chaînes, de boulets de fer, de marbre, et même de pierres sépulcrales arrachées des caveaux des églises. Une mèche allumée, dont la longueur avait été proportionnée à la distance à parcourir, devait mettre le feu aux poudres sitôt que les navires seraient à portée du pont. À l’entrée de la nuit, les vaisseaux sont livrés au courant de l’Escaut ; ils étaient montés par quelques matelots qui devaient les diriger, et en descendre à la hâte quand le moment serait venu. Gianibelli et Aldegonde, dans l’attente de ce qui allait arriver, se placent sur le haut de la digue, sur la côte du Brabant.

Au milieu des ténèbres, quand l’horrible explosion se fait entendre, Aldegonde donne l’ordre à des chaloupes canonnières de se rapprocher des lieux et de s’enquérir de ce qui s’est passé. Les matelots, encore épouvantés, n’osent approcher de l’endroit de l’explosion ; ils font fausse route et reviennent sans avoir rien vu ; ils rapportent que la tentative a manqué. Gianibelli est insulté ; il eût été en danger de mort si Marnix ne l’eût protégé. Deux jours se passent ainsi sans que personne veuille redescendre l’Escaut.

Cependant des nageurs, qui avaient réussi à franchir la ligne du duc de Parme, finissent par entrer dans Anvers ; on sut par eux ce