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qui était arrivé. D’abord la flottille avait suivi en silence le cours du fleuve, précédée de treize brûlots enflammés qui devaient tromper sur la nature du danger. À la lueur de ces flammes charriées par le fleuve et qui se reflétaient aux deux rives sur les armes, les casques, les cuirasses, on avait vu les soldats du duc de Parme couvrir le pont, les estacades, les forts pour les protéger. Les brûlots, échoués ça et là, s’étaient consumés sans résultat. Des quatre bâtimens pesans et ténébreux qui les suivaient, le premier s’était englouti au milieu de la fumée ; deux autres avaient fait côte à la digue de Flandre, et déjà les soldats curieux s’étaient introduits dans leurs flancs pour les fouiller. Le quatrième avait pris la même direction ; mais au lieu de toucher terre, il était venu rencontrer le pont à l’endroit où les pilotis et l’estacade se joignaient à la ligne flottante. À ce moment, une explosion infernale avait ébranlé le sol au milieu d’une lumière éblouissante. La terre avait tremblé à plusieurs lieues ; le fleuve s’était ouvert jusqu’au fond de son lit. Huit cents hommes mis en pièces, leurs membres écharpés, dispersés d’un rivage à l’autre ; une multitude inconnue de blessés, deux des meilleurs généraux ennemis tués, Rubais et Billy ; le prince de Parme étendu par terre évanoui ; le pont brisé, l’artillerie perdue et ensevelie, les vaisseaux coulés bas, l’estacade de gauche fracassée et noyée, le fleuve rouvert, le passage libre, tout cela avait été l’affaire d’une seconde, au milieu d’une tempête de chaînes, de boulets, de meules de moulin, de pierres tombales, dont un grand nombre était allé s’enfouir de sept pieds en terre à une distance de mille pas. Un silence de stupeur avait succédé à l’explosion tant chez les Espagnols que chez les Hollandais, après quoi le premier qui s’était trouvé debout avait été le duc de Parme. Il s’était élancé vers les débris du pont, et, ramassant tout ce qu’il avait trouvé d’hommes valides, il s’était mis aussitôt, non à réparer le désastre (chose impossible dans un temps aussi court), mais à masquer les vides par quelque ouvrage léger, quelques faibles bâtimens qui peut-être suffiraient de loin à faire illusion à l’escadre hollandaise. Si celle-ci avait alors tenté le passage, nul obstacle ne l’eût arrêtée ; mais les précautions de Farnèse avaient en effet réussi à tromper les Hollandais : ceux-ci s’étaient laissé persuader, par une reconnaissance superficielle, que le pont n’avait pas été entamé. S’obstinant à ne pas mettre à la voile, ils avaient perdu la plus belle occasion qui se présenterait jamais de sauver Anvers et la Belgique, car déjà le duc de Parme profitait de ce temps de répit pour réunir ses bâtimens dispersés ; il allait sérieusement réparer son dommage. C’étaient là les nouvelles que reçut Aldegonde ; il résolut de redoubler. Il fit armer par Gianibelli une nouvelle flottille d’explosion : cette fois le succès fut complet, le pont resta ouvert pendant plusieurs