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suprême, depuis qu’elle était environnée d’obstacles et de dangers qui en rendaient le succès presque impossible.

Marnis se prépara à cette action, convaincu que de l’issue allait dépendre le sort de la révolution dans la Belgique et peut-être dans les Pays-Bas tout entiers. Il fixa la journée au 26 mai ; l’effort devait être général. Il le fut en effet ; le mouvement avait été très bien concerté, Gianibelli fut chargé de faire avec de nouvelles machines d’explosion une diversion puissante sur le pont ; il réussit à concentrer de ce côté l’attention du duc de Parme. Pendant ce temps, la flotte hollandaise, sous le commandement de Hohenloo, cinglait à pleines voiles vers la digue. De son côté, Aldegonde conduisait à la rencontre de Hohenloo deux cents navires à fond plat, dont cent trente remplis de canons et de troupes de débarquement, les cinquante autres d’ouvriers, de pionniers munis de fascines, de sacs de terre, de poutres et de claies. Les deux flottilles abordent presque en même temps aux deux rives opposées de la levée qui les sépare. Sous le feu plongeant des cinq forts, des batteries et de la ligne d’infanterie et d’artillerie qui garnissaient le terre-plein de la chaussée, les troupes des confédérés débarquent. La jonction des républicains hollandais et de ceux d’Anvers se fait sur le corps des Espagnols. La longue et étroite ligne de bataille de ces derniers est coupée en trois ou quatre tronçons, et comme on ne pouvait ni avancer ni reculer d’un pas sans être précipité dans les îlots, ce fut un des combats les plus furieux de cette longue guerre. Il y avait aux prises sur cette même arête de dix-sept pieds de large des Espagnols, des Italiens, des Wallons, des Hollandais, des Écossais ; toutes ces langues se mêlaient dans cet étroit, espace. Au milieu de la furie du combat, les Espagnols crurent voir apparaître et se mettre à leur tête un revenant, le colonel Pierre de Paz, tué il y avait trois mois au siège de Termonde. Les ouvriers d’Anvers, l’arquebuse dans une main, le pic dans l’autre, creusaient la terre avec acharnement ; ils tentaient de percer la digue ; mais c’était là un travail difficile sous la mitraille pour des hommes enfoncés jusqu’au cou dans les vagues, et qui à chaque instant teignaient l’eau de leur sang. Souvent, le fossé qu’ils creusaient, ils le remplissaient de leurs cadavres, engloutis aussitôt sous le poids de leurs corselets de fer.

Tous les historiens, même les plus ennemis, sont d’accord pour vanter l’intrépidité de Marnix dans cette mêlée. Il sentait bien qu’il s’agissait du dernier jour de la patrie. « Aldegonde et Hohenloo, dit le cardinal Bentivoglio, dont le neveu était présent, partageaient tous les périls et tous les travaux de leurs soldats. L’un et l’autre les animaient de la voix, du geste, de l’exemple. Ils priaient, ils ordonnaient, ils mettaient la main à l’œuvre. » Dans l’impatience d’une armée affamée,