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on avait organisé des files pour transporter à bras à travers la ligne ennemie le blé des Hollandais sur les navires d’Anvers. Les mêmes hommes combattaient, amoncelaient le blé, creusaient la terre dans un même moment. Enfin la terre cède à tant d’efforts, la chaussée est rompue, le chemin ouvert aux navires. L’un d’eux franchit l’obstacle, c’était celui du vice-amiral Hohenloo. On ne douta plus de la victoire. Les Espagnols pris en flanc sont jetés dans l’Escaut ; ceux qui ont pu s’échapper se retirent dans les forts ; Marnix fait construire à la hâte des redoutes, des remparts de sacs de terre, de laine, où il loge les assaillans ; puis il laisse sur les lieux l’amiral Jacob Jacobsen pour garder le champ de bataille. Quant à lui, avant que le duc de Parme eût appelé ses réserves, il court impatiemment presser les siennes ; il s’embarque avec Hohenloo sur le navire de ce dernier et cingle vers Anvers. Tous deux espèrent, par la vue de ce triomphe, porter au comble l’exaltation de la ville et la ramener incontinent tout entière sur la digue pour faire plus d’efforts contre Parme.

Le calcul d’Aldegonde et du vice-amiral hollandais fut trompé. Pour porter au besoin toute son armée sur le lieu du combat, le duc de Parme n’avait qu’à suivre à la course la ligne droite de la chaussée. C’est ce qu’il fit dès qu’il revint de l’erreur qui l’avait jusque-là tenu attaché sur le pont. Il lance sur la digue ses deux camps de Callo et Stabroeck jusqu’au point occupé par les confédérés. Ceux-ci se trouvèrent alors enveloppés entre les deux têtes de colonne du duc de Parme ; leur position était affreuse, et la marée basse les empêchait de se rembarquer ; chacun voyait d’ailleurs que non-seulement Anvers, mais la révolution et tous les biens qu’on en avait espérés étaient alors sur cette étroite place. Le combat recommence avec acharnement ; mais les troupes de Farnèse se renouvelaient sans cesse. C’était, en mai 1585, la manœuvre des journées d’Arcole sur les digues de l’Alpone. Les confédérés étaient perdus ; les premiers qui cédèrent le terrain furent les Hollandais. Les uns et les autres sont précipités des deux côtés dans les flots et poursuivis à outrance sur leurs navires échoués. Ils perdent dans cette journée trois mille hommes tués, soixante-cinq pièces de canon de fonte, quatre-vingt-dix de fer, vingt-huit vaisseaux, tout l’approvisionnement de blé ; c’était la vie d’Anvers. Hohenloo et Aldegonde, encore en plein triomphe, voient du haut des murs les restes dispersés de leur victoire.

Après un premier succès suivi aussitôt d’un semblable désastre, il restait peu de chances de salut. Le découragement était dans tous les cœurs. Dès le mois d’octobre, la crainte de la famine avait excité plusieurs émeutes ; désormais ce n’était plus seulement le mal de la