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tel n’était point le cas pour Rossini, forcé de reconnaître qu’en présence des embarras multipliés auxquels il avait à tenir tête, il ne fallait rien moins que le produit net d’une de ces machines compliquées qu’on appelle partitions à grand orchestre. « Mon royaume pour un cheval ! » s’écriait le roi Richard ; à cette heure, l’ancien pensionnaire de Barbaja eût tout donné pour un libretto. Un matin, en entrant au café, il aperçoit le poète Gherardini, qui jouait au billard avec un de ses amis. — Pardieu ! dit Rossini, voilà qui s’appelle trouver son homme à point nommé ! Et cet opéra que tu me promets depuis trois semaines ? Il me le faut demain, entends-tu bien ? au plus tard après-demain, comique ou tragique, bon ou mauvais, pourvu qu’il ait deux ou trois actes et remplisse toute la soirée. Va donc, mon cher, cours vite et ne perdons pas une minute : j’ai le diable au corps.

Gherardini, rentré chez lui, compulsa méthodiquement ses paperasses, visitant l’armoire aux manuscrits, fouillant ses cartons, inventoriant une à une les marchandises emmagasinées dans le bahut aux pacotilles. Pièces anglaises, françaises, allemandes, il y en avait de tous les pays et de tous les genres au fond de ce Josaphat poudreux où toute élucubration de l’humain cerveau se régénère et se transforme comme le métal dans le creuset de l’alchimiste, et d’où ce qui fut jadis mélodrame, tragédie, vaudeville ou ballet, sort opéra. Auquel de ces chefs-d’œuvre entassés là pêle-mêle oser donner la préférence ? Lequel d’entre ces illustres écloppés était le plus digne d’une vie nouvelle ? Qui d’entre ces morts du champ de bataille dramatique allait se réveiller aux sons du trombone résurrectionniste ? Gherardini hésita longtemps, et, presque découragé, il allait s’en remettre au hasard sur le choix, lorsque, sa main éventrant une dernière liasse de brochures, il s’arrêta tout à coup devant ce titre : La Pie voleuse, mélodrame en trois actes, par MM. Caigniez et d’Aubigny. « Pas mal ! » murmura le poète en se caressant le menton, et, sans plus de retard, il se mit à la tâche. « N’entrez pas, mon frère est là qui pioche, » disait aux amis indiscrets d’un de nos célèbres tragiques le gardien vigilant du sanctuaire de famille. Ce mot si naïvement grotesque, qui peint d’ailleurs assez au naturel le mode d’inspiration de certaines muses, me revient je ne sais pourquoi à propos de l’opération intellectuelle dont procède un libretto d’opéra. Gherardini piocha donc et si bien, qu’en moins de vingt-quatre heures la Pie voleuse était devenue la Gazza ladra et passait des mains du poète arrangeur aux mains de Rossini.

« J’étais à la première représentation de la Gazza ladra, écrit M. Beyle ; le succès fut tellement fou, la pièce fit une telle fureur, qu’à chaque instant le public en masse se levait pour couvrir Rossini