Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/747

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce duo, délicieux sans doute en tant que morceau de concert, fera toujours sourire les honnêtes gens qui l’envisageront au point de vue du sentiment dramatique. On ne saurait plus effrontément se moquer de la situation, la fin surtout semble un défi gouailleur porté à toutes les idées du sens commun, et je ne connais rien de plus divertissant que cette mélodie accompagnant sur un motif de trénis les lamentations de la tristesse et du désespoir. L’air de Pharaon, qui suit, vigoureusement instrumenté d’ailleurs, perd avec l’andantino : O quanto grato ! toute sa dignité, et se termine à l’allegro par une période des plus banales. J’en dirai autant de l’air de Moïse, que dépare un crescendo d’un motif vulgaire, du finale du premier acte, dont l’allegro rappelle un passage du finale du Barbier de Séville, et qui joint à ce tort celui d’emprunter son énergique péroraison à un chœur du troisième acte du Fernand Cortez de Spontini ; mais si, laissant de côté ces négligences inséparables en quelque sorte du système italien, dans lequel cette partition fut conçue, on s’élève à l’examen des scènes capitales de l’ouvrage, comment ne pas être frappé des beautés de premier ordre qui s’y rencontrent ? Quelle simplicité dans l’introduction, quelle profonde intelligence du sujet ! Pour la vigueur du coloris et la solennité du style, on se croirait en plein Beethoven. Sans nier les extravagances auxquelles se sont laissé entraîner de nos jours certains adeptes trop fervens de la musique imitative, n’est-il pas permis d’admirer l’art incomparable avec lequel le grand maître a su peindre les ténèbres en ce magnifique tableau ? « Le génie de Rossini semble plutôt avoir deviné la science que l’avoir apprise, tant il la domine avec hardiesse. » Jamais peut-être M. Beyle ne trouva au courant de sa plume rien de plus judicieux et de plus vrai que cette observation, qui me revient à propos de la manière dont est traitée l’idée principale de cette introduction. Cette phrase sourdement attaquée d’abord par les basses et dont les instrumens à vent s’emparent ensuite, point lumineux qu’on croirait voir se dégager de la nuit impénétrable ; ce largo par lequel débute le premier finale : All’ idea di tanto eccesso, et le quatuor interrompu par le récitatif dans la scène du souterrain, et la prière, — existe-t-il quelque chose en musique de plus imposant, de plus dramatique et de mieux senti que ces divers morceaux ?

En mai 1818, la signora Colbrand devant se rendre à Florence, Rossini profita de l’absence de la belle prima donna pour aller faire son tour à Pesaro. Le cygne fut reçu avec des transports d’allégresse par les habitans de sa ville natale. Sérénades, banquets, escortes aux flambeaux, on lui donna tous les triomphes. Après avoir ainsi passé quelque temps à diriger des concerts et des représentations en son honneur, le fortuné maestro revint à Naples, où il écrivit coup sur coup deux opéras : Ricciardo e Zoraïde et Ermione ; le premier,