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trouvèrent à s’exercer, la partition laissa le public et la critique également indifférens.

Ici se place l’histoire de la fameuse messe écrite en trois jours (novembre 1819), et qui charma si agréablement l’âme de M. Beyle. « Ce fut un spectacle délicieux, nous vîmes passer successivement sous nos yeux et avec une forme un peu différente, qui donnait du piquant aux reconnaissances, tous les airs sublimes de ce grand compositeur. Un des prêtres s’écria au sérieux : Rossini, si tu frappes à la porte du paradis avec une telle messe, malgré tous tes péchés saint Pierre ne pourra pas s’empêcher de t’ouvrir. » Je confesse, à ma honte, qu’en pareil cas le suffrage d’un dévot tel que M. Beyle m’avait semblé quelque peu sujet à caution. Ces mots de spectacle délicieux, appliqués à des chants d’église, nous rappelaient l’opinion, en matière de littérature sacrée, d’un autre dilettante de la même école, qui, sortant de l’Assomption un jour de la semaine sainte, nous disait du ton leste et spirituel dont il eût parlé de la danseuse à la mode : « Je viens d’entendre le père Ventura prêcher la Passion, il m’a ravi, je l’ai trouvé charmant ! » Nous désirions beaucoup savoir à quoi nous en tenir sur le prétendu chef-d’œuvre d’inspiration religieuse, non pas que nous doutions que Rossini ne puisse écrire une messe aussi bien et mieux que personne[1], mais tout simplement parce que nous pensions avoir quelque raison de nous délier des élans admiratifs de son panégyriste ordinaire. Voici donc qu’après bien des recherches, nous avons fini par découvrir les quelques lignes qu’on va lire. Elles sont d’un certain conseiller de Miltitz, dilettante allemand fort en renom à cette époque, lequel, après avoir aussi assisté à l’exécution de la messe qui nous occupe, trouva bon de consigner son jugement sur ce qu’il venait de voir et d’entendre dans une lettre heureusement arrivée jusqu’à nous. Comme la plupart des gens qui rendent compte de leurs impressions personnelles et vous disent à tout propos : J’ai vu, j’ai entendu, M. Beyle parle toujours sans contrôle. Il m’a paru curieux d’opposer à ses opinions celle d’un juge très compétent, qui lui aussi peut mettre en avant les paroles sacramentelles dont abusent trop souvent ceux qui viennent de loin, et qui sur le chapitre du passé aiment à se donner leurs coudées franches. On lira d’ailleurs cette lettre d’un grave conseiller d’outre-Rhin « avec d’autant plus d’intérêt, qu’elle renferme de très pittoresques détails de mœurs :

  1. Son Stabat n’est-il point là pour démentir l’assertion contraire ? Certains puristes objecteront peut-être que même cette pietà, touchée à la manière des peintres vénitiens, le grand artiste est resté bien mondain. Quant à nous, tout en admettant la valeur de cette critique, nous n’en persistons pas moins dans notre goût pour cette glorieuse composition, convaincu que nous sommes qu’il y a diverses façons de reproduire un sentiment élevé, et que sans être Giotto ou Palestrina, on peut se contenter d’être le Véronèse ou Rossini.