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posséder une érudition variée, il faut s’être familiarisé depuis longtemps avec la nature intime des questions agitées par le président de Bordeaux. La monarchie absolue, la monarchie représentative, le gouvernement démocratique, ont trouvé dans M. Villemain un interprète fidèle et attentif qui ne laisse aucun accès à l’équivoque. Tout ce qu’il dit de la constitution anglaise, si bien comprise, si bien expliquée par Montesquieu, est admirable de précision et de clarté. Il semble, en parcourant ces pages si lumineuses, si animées, que l’analyse de la constitution anglaise soit la chose la plus facile du monde. Rare privilège des pensées nettement exprimées : elles nous abusent sur le mérite de l’écrivain par la rapidité même de l’enseignement qu’elles nous donnent : nous oublions les difficultés de la tâche en la voyant si merveilleusement accomplie. J’aurais désiré que M. Villemain fit pour les lois féodales, pour les institutions germaniques ce qu’il a fait pour la constitution anglaise ; un tel sujet n’eût pas manqué d’intéresser un auditoire français, et chacun sait que Montesquieu a traité cette partie de notre législation et de notre histoire avec une rare sagacité. Si l’érudition moderne a relevé dans ce tableau politique du moyen âge quelques erreurs de détail, elle n’a pas effacé les conclusions générales de l’auteur.

M. Villemain n’a pas apprécié la Grandeur et Décadence des Romains avec moins de justesse et d’éclat que l’Esprit des Lois. Tout en rappelant ce que l’écrivain français doit aux études de Machiavel sur les Décades de Tite-Live, il établit très nettement sa part d’originalité. Quant à la complaisance avec laquelle Montesquieu accueille les origines de la puissance romaine, il n’a pas de peine à la justifier. Que Niebuhr ait raison contre Tite-Live, que les premiers chapitres de l’historien latin ne soient qu’un écho confus des légendes et des chants populaires, cette vérité, fût-elle cent fois prouvée, n’entamerait pas la valeur générale de l’édifice construit par Montesquieu : il y aurait tout au plus quelques changemens à faire dans le soubassement. Le publiciste français, en répudiant la crédulité de Tite-Live, n’aurait pas eu à modifier son jugement sur la république et sur l’empire. Et puis d’ailleurs n’y a-t-il pas dans Niebuhr plus de doutes que d’affirmations ? et sur des doutes, si savans qu’ils soient, quelle argumentation établir ? Un esprit vraiment épris de la méditation ne foule pas volontiers un terrain qui se dérobe sous ses pas.

Arrivé aux dernières années du XVIIIe siècle, M. Villemain a cru que la tribune entrait naturellement dans le cadre de ses leçons. Ce n’est pas moi qui le blâmerai. Je n’oublie pas d’ailleurs que le titre officiel de son enseignement était l’éloquence française. Il a trouvé dans ce thème si nouveau pour les auditeurs habituels de la