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Sorbonne une source féconde où il a puisé largement, et je puis dire sans flatterie qu’il a plus d’une fois prêché d’exemple en esquissant le portrait des principaux orateurs de la tribune française et de la tribune anglaise. Il a parlé de Mirabeau, de Fox, de Sheridan, de Burke et des deux Pitt, en homme à qui tous les secrets de l’éloquence sont depuis longtemps familiers. Tous ceux qui ont gardé le souvenir de ces mémorables leçons, si vivantes, si animées, si pleines de péripéties, aimeront à les relire, quoique la lecture ne puisse leur rendre toutes leurs émotions. L’orateur a su mêler si habilement aux débats de la constituante et du parlement anglais le récit des faits qui suscitaient ces admirables débats, que son enseignement littéraire est devenu presque à son insu un enseignement historique et politique. Je ne crois pas qu’un tel sujet ait jamais été traité dans notre langue avec plus de grandeur et de simplicité. Jamais le droit dans son application la plus élevée n’a trouvé un plus énergique défenseur. Je ne reprocherai pas à M. Villemain d’avoir donné dans ses leçons une trop large place au parlement anglais. Pour lui adresser un tel reproche, il faudrait avoir bien mal compris le but qu’il se proposait : il voulait nous révéler la vraie mission de l’éloquence politique dans les temps modernes. Pour réaliser ce projet, n’était-ce pas au parlement anglais qu’il devait s’adresser ? Où donc aurait-il trouvé (les témoignages plus éclatans, des preuves plus décisives à l’appui de sa pensée ? Athènes et Rome, qui nous ont laissé dans tous les genres d’éloquence tant de monumens impérissables, n’ont pas dans un tel sujet l’autorité du parlement anglais, car la vie antique diffère de la vie moderne par un trop grand nombre d’aspects. Démosthènes et Cicéron, excellens à consulter sans doute pour le maniement de la dialectique, pour les artifices du langage, n’expliquent pas Mirabeau aussi clairement que fox et lord Chatam. M. Villemain a donc agi très sagement en cherchant dans le parlement anglais les maîtres et les aïeux de Mirabeau et de Vergniaud. Les olynthiennes et les catilinaires ne lui auraient fourni que des citations brillantes, mais inutiles ; l’agora et le forum sont trop loin de nous pour nous livrer le secret de l’éloquence politique : c’est au parlement anglais qu’il faut demander l’art de discuter les plus grandes affaires, les questions les plus élevées de droit public dans un style tour à tour sublime et familier. M. Villemain l’a parfaitement compris, et ses leçons sur l’éloquence politique des assemblées modernes resteront comme un vivant modèle d’énergie et de précision.

Sur le seuil du siècle nouveau, il rencontre Joseph de Maistre et le prend corps à corps pour le réduire à sa juste valeur. Ce qu’il dit de son livre sur le Pape s’applique avec une égale justesse, avec