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se soudent et forment un sabot unique. Les exemples de transformations ainsi opérées et perpétuées sont nombreux, et la singularité des races ainsi formées offre, il est vrai, une certaine analogie avec la diversité de certaines races humaines. Cependant on ne cite guère d’exemples pareils parmi les hommes. En voici un, le seul, je crois, et encore, comme on le verra tout à l’heure, il est loin d’être concluant. En 1731, on présenta à la Société royale de Londres un garçon âgé de quatorze ans, né dans le Suffolk, dont toute la personne était recouverte d’une sorte de carapace de couleur obscure, exactement appliquée sur toutes les parties du corps, analogue, pour la structure et la dureté, à une écorce d’arbre ou à du cuir grossier. Cette enveloppe, qui recouvrait le corps tout entier, à l’exception de la face, de la paume des mains et de la plante des pieds, était insensible. Elle avait environ trois quarts de pouce d’épaisseur, se détachait tous les ans à l’automne, et était alors remplacée par une nouvelle peau de même espèce. Cet individu grandit ainsi sans pouvoir se débarrasser de ce singulier vêtement. Il se maria, eut six enfans, et chez chacun d’eux la même enveloppe apparut dès l’âge de six semaines. Si ces enfans avaient vécu et s’étaient mariés, dit M. Prichard, cet homme serait devenu la souche d’une race plus différente des autres hommes que les blancs ne différent des nègres, et les partisans de la diversité n’auraient pas manqué d’en faire une espèce à part.

Assurément cette opinion est spécieuse, et cette race, si elle existait, occuperait beaucoup les ethnologistes ; mais elle n’existe pas, et il est remarquable que les monstruosités que le hasard a produites chez les hommes n’ont jamais persisté au-delà d’une ou tout au plus de deux générations. Il est impossible, ici comme tout à l’heure, de conclure, avec certitude des animaux aux hommes, puisque les faits observés chez les premiers ne se sont jamais présentés chez les seconds. L’antiquité de toutes les races est encore un argument. Si les variétés humaines étaient dues à des accidens, il s’en produirait chaque jour de nouvelles, ce qui n’arrive pas ; si elles ne formaient pas des divisions naturelles dans le genre humain, quelques-unes disparaîtraient, ce qui n’arrive pas non plus. Il faudrait, pour que cette théorie fût vraisemblable, alléguer des exemples de races ainsi formées, et l’on n’en peut citer aucun. Il est impossible, il est vrai, de prouver à priori que de pareilles variétés accidentelles ne sauraient se produire et se perpétuer ; mais ici, comme tout à l’heure, c’est à ceux qui annoncent de pareils faits à les démontrer, ou au moins à les rendre vraisemblables par des exemples. Enfin je ne m’arrêterai pas à relever la singularité d’une opinion qui attribue au hasard la forme, la structure, la couleur et jusqu’à l’intelligence d’une grande partie des habitans du globe.

On a encore donné d’autres moins pour expliquer les différences humaines ; mais ils sont trop peu scientifiques pour nous arrêter longtemps. Ainsi le père Lafiteau pensait que les nègres naissent noirs et les Caraïbes rouges à cause de l’habitude qu’avaient leurs premiers pères de se peindre en noir ou en rouge. Les négresses, voyant leurs maris teints en noir, en eurent l’imagination si frappée, que leur race s’en ressentit pour jamais. La même chose arriva aux femmes caraïbes, qui, par la force de l’imagination, accouchèrent d’enfans rouges. Cette opinion singulière était partagée par les anciens,