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son régime et de son mode de locomotion. Nous ne devons pas nous attendre à trouver entre les diverses espèces d’un même genre, des différences de même nature. La marche du naturaliste est ici beaucoup plus incertaine. Dans le genre éléphant, par exemple, en quoi différent les deux espèces, l’éléphant des Indes et celui du continent africain ? Les oreilles du second sont plus grandes que celles du premier, son front est plus bombé, ses défenses plus fortes, ses pieds de derrière n’ont que trois ongles au lieu de quatre ; enfin, tandis que les dents mâchelières de l’espèce asiatique sont surmontées de bandes étroites et sinueuses, celles de l’éléphant d’Afrique portent des saillies en forme de losanges. De même dans le genre cheval on distingue six espèces : le zèbre, l’âne, l’hémione, le cheval, le couagga et le dauw, qui ne diffèrent guère que par la couleur du poil et la nature du cri. La ressemblance des espèces est encore plus grande chez les rats, où les lemmings Scandinaves ne se distinguent des races ouraliennes que par l’habitude qu’ont les premiers de ne point faire provision de vivres et de n’habiter qu’une salle unique, tandis que les seconds se creusent des appartemens à plusieurs chambres, et se préparent une nourriture pour l’hiver en faisant provision de lichen rangiferinus. Assurément ces différences sont bien moins considérables que celles qui séparent les Européens des Éthiopiens, les Mongols des Hottentots ; mais aucun de ces exemples ne nous donne un caractère bien net, qui serve à distinguer dès le premier abord si deux animaux appartiennent à la même espèce. Un grand nombre de naturalistes crurent avoir trouvé ce caractère dans la fécondité. Suivant Buffon, tous les animaux qui ne peuvent produire ensemble des métis féconds sont d’espèces différentes, tandis que ceux qui peuvent donner naissance par leur croisement à des animaux féconds sont de la même espèce. M. Flourens a soutenu de nos jours cette opinion avec toute l’autorité de sa science et de son talent. Suivant lui, tous les individus qui composent un genre se ressemblent trop pour que l’on puisse trouver en eux des caractères distinctifs organiques, et la seule manière d’établir des espèces immuables et bien limitées, c’est de ne s’occuper que de la fécondité. Or les hommes de tous les pays peuvent produire ensemble, ont même du penchant aux croisemens avec les races les plus éloignées ; ils sont donc tous de la même espèce et descendent d’une souche commune. Quoiqu’il soit impossible de déterminer comment les différences humaines se sont produites, cependant cette aptitude à la génération prouve leur identité spécifique.

M. Hollard considère cet argument comme décisif, et le développe avec soin. À son avis, c’est là le critérium de l’espèce, les autres caractères ne sont rien. Est-ce bien vrai ? Ce caractère est-il le seul, et se rencontre-t-il dans toutes les espèces ? Enfin n’a-t-il pas l’inconvénient d’être très difficile et souvent impossible à déterminer ? Une observation, même superficielle, nous montre d’abord de nombreux exemples de croisemens entre des animaux que tous les naturalistes considèrent comme appartenant à des espèces distinctes. Sans compter le cheval et l’âne, qui produisent des mulets stériles, la poule et le faisan, l’œgagre et la brebis, l’alpaca et la vigogne, le serin, la linotte et le chardonneret, produisent des métis tantôt stériles, tantôt féconds. Il n’est point prouvé même que toutes nos variétés de chiens soient la dégradation,