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paradis, allait-il me récompenser des ennuis de la route ? Déjà j’inclinais à croire que le prophète avait basé son opinion sur de véritables récits de voyageur, et qu’entre l’oasis de Damas et le séjour d’éternelles délices la seule et véritable similitude est dans l’aspérité des routes qui mènent à tous deux, quand j’arrivai au point extrême de la chaîne de l’Anti-Liban, et toute ma mauvaise humeur disparut devant le splendide spectacle qui s’offrit à mes yeux. Aussi loin que la vue pouvait s’étendre, se déroulait une mer de verdure de la plus éclatante fraîcheur. Coquettement assise au milieu des jardins, la ville de Damas, dessinée en forme de raquette de paume, montrait ses maisons aux toits plats, ses minarets aux formes élancées, sa mosquée au large dôme. Ce splendide paysage, éclairé par les rayons d’or d’un soleil couchant, exerça sur mes yeux une véritable fascination, et je ne le quittai pas de vue un seul instant pendant le reste de la route, laissant à mon industrieux petit coursier le soin de veiller au salut de ses jambes et de celles de son cavalier. Ma confiance était bien placée, car nous arrivâmes en ville sains et saufs à travers des chemins qui font peu d’honneur au corps des ponts et chaussées de sa hautesse le grand-seigneur.

Le premier aspect des rues de Damas n’offre rien d’agréable à l’œil ou à l’odorat. Des ruelles étroites tracées entre des murailles jaunâtres et crevassées, des fondrières, des lacs d’eau croupie, des montagnes d’ordures qui dans des pays plus civilisés marchent en poste, des carcasses d’animaux de toute dimension, depuis la souris jusqu’à l’âne, voilà les détails caractéristiques que vous retrouvez dans tous les quartiers de la perle de l’Orient, et au milieu desquels il vous faut circuler, non sans circonspection. Ah ! digne étranger tout frais échappé du boulevard de Gand ou de Regent-Street, suivez mon conseil, ouvrez l’œil et rasez le sol. Ce mur branlant aux profondes crevasses ne tient évidemment que par la grâce du prophète ; voilà un profond abîme où un simple faux pas peut vous précipiter. Vite la canne au vent ! cette bande de chiens jaunes, affamés, pelés, hargneux, s’attache à vos pas avec une ténacité qui décèle un vif désir de faire plus intime connaissance avec vos mollets ; en deux temps une volte-face ! car voici un âne, un cheval, un chameau dont le fardeau ratisse les deux murailles, et qui menace de vous laminer ni plus ni moins que pourrait le faire le plateau d’une machine hydraulique. Un temps de galop encore devant ce lac d’ordures que je ne puis nommer, et nous sommes au grand bazar qui entoure la mosquée des Ommiades ; là un spectacle du plus pur Orient va nous récompenser des labeurs de la route. Jetons d’abord un coup d’œil en observateur prudent sur les ressources culinaires de la place. Voici un âne porteur de deux baquets où se confisent au vinaigre des tranches de betteraves, des aubergines, des concombres. Préférez-vous