Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les douceurs ? dites deux mots à ce négociant enturbanné qui se tient debout près d’une table chargée d’un plateau de cuivre sur lequel s’épanouit un nougat monstre. Ce restaurateur et ce pâtissier en plein vent, ou plutôt en plein bazar, qui pâtissent et cuisinent à la face des passans, doivent inspirer toute confiance aux estomacs les plus scrupuleux, quant à la respectabilité des produits de leur industrie. On pourrait croire au premier abord que ce monsieur porte une guitare, c’est une outre pleine d’une boisson rafraîchissante qu’il débite pour quelques paras le verre. Donnons encore un regard à ce café qui vous offre les ineffables jouissances de son pur moka, de ses pipes et de ses bancs de bois, à ce glacier, modeste Tortoni accroupi devant sa sabotière, et, ce tribut payé aux besoins de la nature, voyons un peu où nous sommes et qui nous entoure.

Une longue et haute galerie de bois se déroule devant nos yeux. Aux deux côtés de la muraille sont adossées des boutiques où s’étalent les produits les plus divers de l’industrie humaine, depuis les véritables pastilles du sérail et les tabatières en buis jusqu’aux moelleux tapis de Perse et aux riches manteaux de soie brodée d’or. Accroupi au premier plan de sa boutique, le marchand turc, grave, réfléchi, la pipe à la bouche, loin d’attirer le consommateur de la voix et du regard, semble plutôt un dragon jaloux chargé de repousser et de punir toute indiscrète curiosité. Peut-être toutefois ce sentiment de méfiance n’est-il ni injuste ni déplacé, car la foule qui se presse sous ces larges arcades, composée des élémens les plus hétérogènes, ne doit sans doute pas posséder des idées très orthodoxes sur le respect dû à la propriété. Ici des Arabes du désert aux kefilhès à couleurs éclatantes, avec leurs épais manteaux blancs rayés de noir, leurs bottes rouges aux talons de fer; là des Albanais, aujourd’hui soldats, demain bandits, et dont il ne faut pas désirer la rencontre quand la nuit est sombre et la route isolée; voici enfin des Turcs, de vrais Turcs en turbans de mousseline et de cachemire, en larges pantalons, en robes aux couleurs éclatantes, vert tendre, rose, azur, tels en un mot qu’il n’en existe plus qu’à l’état de souvenir historique en Europe, et qu’il faut traverser les chaînes du Liban pour les retrouver dans leur originalité. Et quoi que l’on dise de la vie d’esclavage et de captivité des dames turques, la plus belle partie du genre humain n’est ni la moins active ni la moins nombreuse dans la foule qui assiège journellement les allées des bazars. Voyez-les passer drapées dans leurs draps blancs comme des spectres, la face couverte d’un mouchoir de barège, chancelantes dans leurs doubles babouches d’un jaune tendre : au premier abord, l’œil s’irrite et maudit ce costume vraiment égalitaire, sous lequel se confondent beauté et laideur, richesse et misère, les fraîches couleurs du printemps et les rides de l’hiver; puis enfin