Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/810

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

organisés. Les précautions qu’emploie la Providence pour propager et faire durer ses créations sont infinies. Chaque année, chaque instant voit naître des germes de toute espèce dont une très faible partie, peut éclore. Ce que nous voyons se produire tous les jours sous nos yeux, pourquoi ne pas l’admettre aux premiers.jours du monde habité ? Pourquoi le rejeter alors que cette profusion était plus nécessaire ? Est-ce une chose si simple que de penser que ces myriades d’animaux de toute forme et de toute nature répandue sur notre globe aient tous été procréés par un seul père et une seule mère de leur espèce ? Ces végétaux si nombreux qui ne peuvent supporter la transplantation ont-ils été tous produits dans un même lieu par un seul végétal ? Peut-on se faire une idée de la terre ainsi parée d’une seule plante de chaque espèce, de ces forêts, aujourd’hui immenses, formées alors par un seul arbre ? Si les gazons qui couvrent de vastes étendues étaient représentés par un seul individu de chacune des graminées qui les composent, où les animaux auraient-ils trouvé leur nourriture sur cette terre à peu près nue ? Dans un océan désert, comment les premiers couples de poissons auraient-ils vécu ? La reproduction dans le règne animal et dans le règne végétal n’aurait-elle pas été subitement arrêtée par la destruction, et les races les plus fortes, après avoir dévoré les plus faibles, ne seraient-elles pas mortes de faim ? Ce que nous disons des végétaux et des animaux pourrait, dans une certaine mesure, s’appliquer aux hommes. La raison ne voit aucune objection à ce que la même profusion conservatrice ait présidé à la formation du genre humain, et celui-ci pourrait avoir paru à la fois ou successivement sur plusieurs points de la surface de la terre. La même main qui a fait croître l’herbe dans les campagnes de l’Amérique n’a-t-elle pu y mettre les hommes ? Cette hypothèse, dont nous n’ignorons pas les difficultés, expliquerait mieux ces différences de race qu’on a tant de peine à ne pas tenir pour des différences spécifiques. Dans tous les cas, on ne peut sans hésitation supposer la Providence abandonnant aux hasards qui pouvaient menacer un seul couple la vie et l’avenir de l’humanité. Tel n’est pas du moins l’ordre de la nature comme la science nous le fait connaître, et, si l’on rejette le système que nous indiquons, c’est qu’il faut concevoir le temps primitif de notre monde comme un ordre de choses tout à fait en dehors des données actuelles de l’expérience et de l’induction.


PAUL DE REMUSAT.