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nés et forcés de reprendre les armes. Complice secret des insurgés jusqu’ici, le gouvernement du roi Othon devient leur complice officiel et leur chef. Reste à savoir si les puissances occidentales, après avoir vainement représente au cabinet grec le péril de sa politique, resteront inactives en présence de cette phase nouvelle de la question. L’Angleterre et la France ne sauraient évidemment reculer devant des mesures efficaces pour arrêter dès l’origine des complications déjà suffisamment périlleuses. La plus triste erreur des Grecs, c’est de croire que l’intérêt qu’on leur porte peut se changer en connivence, c’est surtout de nourrir une illusion singulière sur leur situation et sur la possibilité de tirer parti d’une crise où tant d’autres intérêts sont engagés. Que la Russie les encourage dans leurs tentatives, cela est tout simple ; elle trouve là des auxiliaires à qui elle a dit d’avance qu’elle ne tolérerait pas l’empire byzantin qu’ils rêvent ; elle reçoit un secours momentané qui ne lui coûte qu’un peu d’argent et quelques circulaires contre l’oppression turque. Mais n’est-il point évident que toute entreprise aujourd’hui ne peut qu’aller contre son but en prenant le caractère d’un acte d’hostilité contre les puissances occidentales, que non-seulement elle va contre son but le plus actuel, — qu’elle peut encore remettre en question tout ce qui existe en Grèce ? Telle est la conséquence d’un choix fatal fait entre les encouragemens, les secours onéreux de la Russie et les sympathies désintéressées de la politique occidentale, qui ne pouvaient manquer de tourner au profit des populations hellènes.

L’Angleterre et la France, après tout, ont assez d’intérêts à sauvegarder dans les hasards de cette crise pour n’avoir point à plier leur politique aux entraînemens d’un gouvernement mal inspiré. En définitive, ce qu’elles engagent dans cette lutte, avec la vie de leurs soldats et les ressources de leurs finances, c’est le développement de leur commerce, la sécurité de leur industrie, une infinité d’élémens de leur situation intérieure respective. Ce que la simple perspective de la guerre a déjà coûté peut laisser pressentir ce que la guerre elle-même coûtera les efforts qu’elle nécessite en armemens de terre, en constructions navales, en préparatifs de toute sorte, donnent la mesure de la gravité de l’entreprise. La France, on le sait, a aujourd’hui trois escadres, dont deux occupent la Mer-Noire et la mer Baltique avec les flottes anglaises ; elle a en Orient une armée de terre dont le chiffre primitif ne peut que s’accroître, et est déjà dépassé sans doute. Comme nous le disions, elle va avoir à Saint-Omer et à Marseille deux camps, dont la force s’élève à cent cinquante mille hommes. Les événemens de la guerre semblent avoir appelé l’attention du gouvernement sur une autre création qui du reste n’eût point indubitablement manqué de se produire, même dans la paix : c’est la création d’une garde impériale rétablie par un récent décret. La nouvelle garde impériale, destinée à former une réserve, se recrutera par d’anciens militaires retirés ou par des militaires arrivés à leur dernière année de service. D’ailleurs les seuls avantages attachés au service dans la garde impériale pour les officiers et les soldats sont dans une tenue spéciale et dans une solde relativement plus élevée. Ainsi se multiplient, se transforment ou s’organisent les forces militaires de notre pays sous l’empire des circonstances présentes. Si quelque chose est de nature à atténuer ce qu’il y a de critique