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irruption, parfois quelque peu brutale, dans la réalité ; ils sont souvent préparés longuement et obscurément, et c’est ce qui doit inspirer le plus de crainte aux esprits qui poursuivent quelque action intellectuelle. Par amour de l’humanité, on se met à la recherche de tout ce qui peut adoucir la condition des criminels : — sait-on si le sentiment de la justice n’en sera point affaibli ? On réhabilite par toutes les voies de l’intelligence une époque, une institution, un système : — sait-on ce qui sortira de cette réhabilitation ? On irrite l’imagination publique par des tableaux artificieusement violens, on diffame la société par des peintures injurieuses, et la société elle-même a la faiblesse de s’intéresser à sa propre diffamation : — sait-on si ces fantaisies cruelles ne vont pas devenir tout à coup une réalité palpitante et redoutable ? De telle manière que le mouvement intellectuel est le commentaire des faits, qui sont à leur tour le vivant commentaire des idées. Il y a un lien entre tous ces élémens, dont l’ensemble forme l’histoire d’une époque. Un observateur expérimenté des choses et des hommes résumait récemment, dans quelques pages qu’il appelait une esquisse d’un tableau politique, quelques-unes des principales transformations de notre temps, — la restauration et ses tentatives inutiles, la monarchie de juillet et ses efforts pour concilier la liberté et l’ordre, ces deux glorieuses conditions de toute organisation publique régulière ; la révolution de février et ses catastrophes nouvelles, la résurrection des institutions impériales sur un sol ébranlé ; Mais à travers ces événemens, qui sont toute, une histoire, qui viennent périodiquement marquer une brusque et violente transition, n’aperçoit-on pas la société elle-même dans le mouvement de sa vie morale et intellectuelle, travaillée par toutes les influences, dominée successivement par toutes les pensées et tous les entraînemens ? N’aperçoit-on pas ses instans de lassitude et ses revendications généreuses, ses déviations et ses retours, ses instincts immortels et ses goûts qui passent ? C’est là ce que les faits par eux-mêmes ne disent pas, c’est là ce que la littérature révèle par les tendances qu’elle propage, par l’expression qu’elle donne à toutes ces idées, à tous ces contrastes, où elle trouve, un aliment. C’est plus spécialement le caractère de la littérature politique.

Il y a pour l’esprit littéraire un autre, domaine où il se sent plus à l’aise et plus libre, vers lequel il revient naturellement : c’est celui des mœurs, des passions, des sentimens. La réalité mobile et saisissante, de cette vie intime est l’éternelle source pour les imaginations. L’âme humaine, elle aussi, est une contrée sans cesse explorée, et où il n’en reste pas moins toujours quelque chose à découvrir pour une observation habile et pénétrante. Il y a les mille nuances restées dans l’ombre, les secrets inavoués, les luttes imprévues de la passion, les épreuves viriles, les enchantemens de la jeunesse. Le fond ne fût-il pas toujours neuf, c’est la forme qui le rajeunit et lui donne, un nouvel attrait, — et dans ce domaine même, est-ce que sous le voile de l’imagination il ne se montre pas quelque chose des tendances qui se font jour dans la société ? Ici les instincts d’un goût épuré, les retours d’une raison saine et d’une inspiration honnête, là les corruptions grossières ou raffinées ; — d’un côté, M. Octave Feuillet et les Scènes et Comédies, de l’autre M. Alexandre. Dumas fils et les tristes peintures de ce qu’il appelle la Vie à vingt ans !

M. Octave Feuillet est assurément un des talens les plus distingués et les