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Ne nous séparons pas ; nous serons avec vous jusqu’au bout. Notre objet est le même ; nous ne souffrirons jamais ce que vous voulez empêcher ; nous ne déserterons aucun des principes que nous soutenons ensemble, et rien ne nous fera dévier du but que nous poursuivons, d’un pas inégal peut-être, mais par une même route. Nous avons pu quelquefois vous trouver un peu vifs, à votre tour vous pourrez nous trouver un peu lents ; mais patience, la cause commune n’y perdra rien : entre vos mesures et les nôtres il n’y a qu’une question de date. En attendant, comprenez bien le sens de notre attitude. Vis-à-vis de la Russie, notre neutralité n’est que nominale. La Russie ne peut rien contre l’empire ottoman sans notre coopération ou notre résignation ; elle sait qu’elle n’aura ni l’une ni l’autre. Est-ce être neutre que d’avoir tout blâmé, dès l’origine, à Saint-Pétersbourg, et d’avoir séparé aussi profondément notre politique de celle du cabinet russe ? Cette séparation, mise en regard de notre union de principes avec vous, est une menace permanente. Notre politique seule vaut une armée, elle est comptée par la Russie à l’égal de la présence de vos flottes dans le Bosphore. Vous allez plus loin encore : vous entrez dans la Mer-Noire ; cette mesure est parfaitement justifiée par les circonstances qui l’ont précédée, elle est grave ; nous aurons à fixer une dernière fois les réflexions du cabinet russe sur la lutte où l’entraînerait une fausse politique. Nous portons à, Saint-Pétersbourg les derniers élémens de paix, si cette tentative est repoussée, nous nous rapprocherons de vous de toute la distance que ce refus mettra entre nous et la Russie. Dans le cas d’une rupture avec les puissances maritimes, le cabinet de Saint-Pétersbourg se déclarera délié de l’engagement qu’il avait pris de ne point franchir le Danube ; nous aurons à lui rappeler que cet engagement subsiste dans toute sa force vis-à-vis de nous, et que le violer contre vous ce serait le violer contre nous-mêmes. Sa réponse décidera de notre conduite. Si elle est négative, nous nous tournerons alors vers la Russie, et nous lui dirons : — Tous nos efforts depuis six mois ont tendu à vous assurer une paix honorable ; nous avons ménagé votre dignité comme la notre. Nous nous sommes faits obstinément les garans de votre parole ; vous voulez la guerre : eh bien ! vous ne la ferez pas au-delà du Danube ; nous ne le voulons pas, et par conséquent vous ne le pouvez pas ! — Jusque-là cependant laissez-nous agir comme si la paix était encore possible ; souffrez que nous ne mettions aucun tort de notre côté, que nous évitions toute imprudence ; n’exigez pas que nous nous exposions à tirer le premier coup de canon ! » Ce langage sortait pour ainsi dire de la situation même de l’Autriche ; il devait être compris par la France et par l’Angleterre : les événemens ne tardèrent pas d’ailleurs à en prouver la sincérité.