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que lorsqu’ils revenaient au sentiment de leur sécurité, ils étaient disposés à s’effrayer de l’influence exorbitante que leur imprévoyance ou leur faiblesse avait laissé prendre à la Russie. Dès 1814 même, au congrès de Vienne, l’Autriche, la France et l’Angleterre, M. de Metternich, M. de Talleyrand et lord Castlereagh avaient voulu défendre l’Europe contre cet ascendant démesuré en signant entre les trois puissances un traité secret ; mais les événemens de 1815 déroulèrent cette pensée et en livrèrent le secret à l’empereur Alexandre. Plus tard, de 1821 à 1829, M. de Metternich s’efforça de dérober l’Autriche à la pression de la Russie : mollement soutenu par l’Angleterre, durement repoussé par la France, il fut obligé, nous l’avons dit, de revenir à la Russie, comme un défectionnaire repentant et humilié. Depuis lors, la révolution de 1830 et bien plus encore la révolution de 1848 avaient resserré les liens de la Russie avec l’Autriche. L’ascendant russe débordait donc sans obstacle sur l’Europe centrale depuis quarante ans : voilà, la situation à laquelle met fin aujourd’hui la politique nouvelle de l’Autriche. L’Autriche rompt avec cette alliance de principes, avec cette espèce de religion politique ; elle revient au système naturel des états indépendans forts et habiles, aux alliances d’intérêts. Ce qui ne fut qu’une pensée avortée en 1814, qu’un effort impuissant de 1821 à 1829 est aujourd’hui un fait accompli. Par ce seul fait, la force de la Russie est réduite de moitié en Europe, et sa puissance refoulée de plusieurs centaines de lieues loin de nous. Nous obtenons ainsi, avant la guerre, un avantage qui serait à lui seul l’ample récompense d’une grande et longue lutte terminée par des triomphes.

Mais en opérant un mouvement dont les conséquences seront si vastes pour l’Europe, et qui doit lui rendre à elle-même une position si élevée dans la direction des affaires du continent, l’Autriche compromet-elle les intérêts conservateurs de sa position intérieure, perd-elle en réalité une de ses forces contre les périls révolutionnaires ? Il y a en Europe une école qui l’affirme avec passion. La voix de cette école est étouffée à Vienne ; ses adeptes n’ont pas encore cessé d’entourer et de harceler le roi de Prusse ; ses ardens et opiniâtres inspirateurs sont naturellement à Saint-Pétersbourg. Nous ne voulons point terminer cet exposé sans aborder de front et sans détruire les assertions et les prophéties insensées de cette école sur les conséquences de l’alliance occidentale pour l’Allemagne. Ces prédictions nous sont bien connues ; nous les avons vues développées avec feu et avec éloquence dans cette curieuse correspondance, d’un diplomate russe à laquelle nous avons déjà emprunté une citation. Il importe, suivant nous, de les faire connaître, et, pour mettre loyalement nos lecteurs en mesure de les apprécier, nous reproduirons