Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/915

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

musical procéda d’une tendance anti-italienne. Cette sainte croisade contre l’imitation des lettres françaises, dont Schlegel et Tieck s’étaient déclarés les protagonistes, Weber et ses disciples la prêchaient contre l’abus des formules rossiniennes et ce qu’ils appelaient le style conventionnel de ce maître. Chose étrange, cette même Italie, qui servait ici de point de mire à l’anathème, fournissait journellement des modèles aux poètes de la jeune génération, qui ne se lassaient pas de lui emprunter les formes de leurs sonnets et de leurs chansons, et devait plus tard, à l’avènement de Mendelshon, aider aux transformations toutes modernes de la musique allemande ! Il est vrai d’ajouter que Rossini n’entre pour rien dans cette affaire, et qu’il s’agissait uniquement de donner par-dessus sa tête la main aux Astorga et aux Pergolèse, lesquels furent pour ces néo-romantiques ce que Dante et Pétrarque avaient été pour les poètes. Quoi qu’il en soit, le Freyschütz, malgré son immense retentissement, ne fit pas d’école, et Weber, que je sache, n’a guère produit, en ligne directe que M. Marschner, l’auteur de Hans Heiling, et Conradin Kreutzer, le chantre ingénieux d’Une Nuit à Grenade, talens faciles, mais qui ne dépassent pas la portée ordinaire. Les germes féconds et puissans déposés par Weber dans le Freyschütz et ses autres chefs-d’œuvre ne portèrent leurs fruits que plus tard, lorsque Meyerbeer les fit servir à ses combinaisons solennelles, où l’élément rossinien entra pour sa part.

On a appelé la musique de l’auteur des Huguenots et du Prophète une encyclopédie ; rien de plus vrai que ce mot. Toutes les découvertes du génie musical moderne, les plus hautes aussi bien que les moindres, M. Meyerbeer semble les avoir englobées dans l’étendue de son œuvre, empreinte jusqu’à l’excès du caractère cosmopolite. Après avoir dans Robert le Diable élevé à des proportions grandioses le romantisme local de l’auteur du Freyschütz, il a dans les Huguenots et le Prophète porté l’émancipation des masses à des effets encore inconnus et tellement formidables, que ses conquêtes paraissent, de ce côté du moins, toucher aux colonnes d’Hercule. Rossini et M. Auber, comme ces hommes d’état que l’occasion fait révolutionnaires malgré eux, devaient s’en tenir, l’un à Guillaume Tell, l’autre à la Muette de Portici. Ce sera la gloire de Meyerbeer d’avoir créé l’opéra historique. Ainsi, pour citer les Huguenots, la lutte du protestantisme et du catholicisme est bien moins dans le motif dramatique de la pièce que dans le caractère de la musique. Cette partition, on peut le dire, a la couleur et le costume du temps. C’est la première fois qu’il arrivait à l’Opéra de rendre, à l’aide d’imposantes masses musicales, le contraste de deux grandes idées qui se sont disputé le monde ; de même de la partition du Prophète, qui me semble