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niaiserie du public l’eût condamné à n’être jusqu’à la fin que l’ombre errante de l’auteur de Semiramide et de Moïse, tandis que là-bas il a pu dépouiller le grand homme et jouir de cet ineffable contentement de ne plus s’entendre dire qu’il vole la postérité. À Saint-Pétersbourg, quand l’empereur veut se promener comme un simple mortel sur la Perspective, il se coiffe d’une certaine manière, et dès lors il est convenu que chacun se fera un devoir de ne pas le saluer. Quel malheur qu’un pareil usage ne puisse s’établir en France, au moins pour les hommes de génie, qui trouveraient sans doute par là un moyen d’échapper aux exigences d’un passé trop fameux dont la tyrannie unit par les forcer à déloger !

On a dit que le principal caractère du génie est de ne pas laisser après lui les choses au point où il les a trouvées à son avènement. Personne mieux que Rossini ne confirme cette vérité. Jetons un rapide coup d’œil sur ce qu’était la musique italienne en 1812, au jour de l’apparition du fils d’Anne Guidarini. L’école de chant d’où étaient sortis ces virtuoses tant célèbres auxquels on attribuait le mérite de faire valoir les œuvres même les moins recommandables, mérite dont, hélas ! trop souvent ils abusèrent, cette grande école n’existait plus. La plupart des maîtres du siècle précédent avaient quitté ce monde, ceux qui vivaient encore n’écrivaient plus. Les lyres d’or de Cimarosa et de Paisiello restaient muettes ; Zingarelli, Fioravanti, Salieri, Portogallo, avaient cessé de chanter. Cherubini et Spontini, devenus français, semblaient à tout jamais perdus pour l’Italie. Quant à la jeune génération, elle n’offrait guère qu’un écho affaibli du passé. Il se peut que, sans cette complexion languissante qui paralysa l’essor de son génie, Pavesi eût répondu plus tard à la haute opinion que Rossini s’était formée de lui sur divers fragmens ; Fioravanti continuait en l’exagérant le bouffe de Cimarosa, et pour les Generali, les Caccia, les Nicolini, c’étaient d’honnêtes talens, comme en suscite par douzaine toute personnalité un peu marquante, gens d’esprit, mais non d’invention, et qui n’existent que pour redire. Contre ces imitateurs dépourvus de la veine mélodique des anciens maîtres, et dans les mains de qui l’orchestre allait encore s’appauvrissant, deux musiciens tentèrent une réaction. L’un était le Bavarois Simon Mayr, l’auteur d’une Lodoïska donnée en 1800, de Ginevra di Scozia (1803), des Misteri Eleusini et de vingt autres ouvrages qui longtemps passèrent pour des chefs-d’œuvre aux yeux d’un public auquel Mozart demeurait encore inconnu ; l’autre était M. Paër, qui, bien que né en Italie, avait compris de bonne heure le parti qu’on pouvait tirer de l’harmonie allemande. La musique italienne quittait le simple et le facile pour le composé et le savant, et le mérite des compositeurs dont je parle est d’avoir aidé en praticiens