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musical ; le mieux serait de ne pas le laisser s’assoupir. Mais ayez donc le courage de reprocher des longueurs à un homme qui n’a pas composé moins de quarante opéras en dix ans, et vous mériterez qu’on vous réponde comme Cicéron s’excusant d’écrire une longue lettre, parce qu’il n’a pas le temps d’en faire une plus courte. Du reste ses défauts, personne plus naïvement ne les confesse, et s’il se damne, ce n’est point sans préméditation.

« Pourquoi, lui disait-on un jour, puisque vous ressentez une si profonde admiration pour Haydn et Mozart, ne cherchez-vous point davantage à vous rapprocher de leur style ? — Peuh ! répondit-il, je le ferais bien ; mais que voulez-vous ? je redoute le public italien (temo il publico italiano). » Et il revenait à ses cadences, à ses arpèges, à ses modulations, à ses crescendo et à ses forte. — Rossini ne sait point renoncer à une mélodie qui lui plaît ; chez lui, l’oreille passe avant l’esprit, et, quand ces deux puissances font mine de ne pas vouloir s’arranger ensemble, comme il hait les querelles de ménage, il ne prend pas la peine de les mettre d’accord. De là les nombreux contre-sens où tombe sa musique, de là tant de motifs qui ne sont que des variations, de là ces roulades, ces trilles, ces pluies de notes chromatiques qui, dans un intermède, peuvent avoir leur charme, mais qu’on ne saurait voir sans ennui se reproduire imperturbablement à tout propos, sans égard pour la situation dramatique ni pour le caractère des personnages. Il est vrai que Rossini n’est pas non plus le seul coupable, et qu’il a dû, même en ses innovations les plus hardies, se conformer aux habitudes scéniques d’un pays pour lequel une représentation théâtrale n’est jamais qu’une sorte de concert. Ces grands noms de Gluck et de Mozart qu’on lui jette encore à la tête, il n’en ignorait pas la signification, et certes il a prouvé depuis qu’il pouvait s’élever dans leur voie, mais à la condition de se sentir porté par l’atmosphère. Pour le moment, il se contentait de se maintenir en joie et de craindre le public italien : temo il publico italiano ; ce qui ne l’empêchait pas de donner à la partie dramatique de ses ouvrages un développement dont on n’avait pas encore eu d’exemple et de traiter les finales, les morceaux d’ensemble et les récitatifs en homme qui devance son temps et son pays, mais sans vouloir de gaieté de cœur risquer de se brouiller avec l’un et avec l’autre.

Si l’on veut des preuves de ce que j’avance, on en trouvera dans Otello, dans Mosè, Zelmira et la Gazza. Certes aucune de ces partitions n’est un de ces chefs-d’œuvre portant en soi la perfection comme le Don Juan de Mozart ou le Matrimomo segretto de Cimarosa ; le clinquant s’y mêle à l’or pur, le fatras à l’imagination, et cette musique, encore qu’elle abonde en qualités du premier ordre, garde à