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de mécontens, un noyau d’opposition formidable. À ce danger, qu’on aurait pu atténuer, mais non pas prévenir d’une manière absolue, les fautes du gouvernement français et de ses amis en ajoutèrent bientôt de plus considérables encore. On inquiéta, par des imprudences plus encore que par des hostilités préméditées, des opinions et des intérêts qui, depuis vingt-cinq années, étaient devenus trop puissans pour que le soin de les rassurer ne dût pas être la principale préoccupation du pouvoir ; on donna lieu de croire que cette charte proclamée avec tant d’apparat comme la garantie de ces intérêts, comme le pacte de conciliation de l’ancienne France avec la nouvelle, n’était, dans la pensée des conseillers du trône, qu’une concession provisoire faite à la nécessité des circonstances. On se persuada, par une erreur trop commune, qu’il suffisait de combler de faveurs quelques hommes de la révolution et de l’empire, et que, parce que ces hommes faciles à séduire s’étaient détachés de leurs partis, ces partis étaient dissous ou réduits à l’impuissance. Des esprits chimériques et téméraires réclamaient audacieusement l’ancien régime et le pouvoir absolu, et malheureusement le ministère, trop peu homogène pour ne pas être divisé, n’osait les désavouer ou ne les désavouait qu’avec mollesse, bientôt de sérieuses alarmes se répandirent dans toutes les classes de la population : le rétablissement de la dîme et des droits féodaux se présentait en perspective, comme un épouvantail, aux paysans qui n’avaient pas encore eu le temps d’en oublier le poids ; les acquéreurs de biens nationaux tremblaient pour leurs propriétés, garanties cependant par la charte ; les protestans, malgré la protection dont les couvrait aussi la loi fondamentale, s’effrayaient des prétentions émises par une portion du clergé ; les militaires réformés après vingt ans de combats s’indignaient de voir les emplois et les avancemens auxquels ils croyaient avoir tant de droits prodigués soit à des émigrés, soit à des hommes dont le seul titre était de n’avoir rien fait pendant l’absence des Bourbons, soit même à de très jeunes gens qui n’avaient à invoquer que leur naissance ou leurs opinions. Partout on signalait la résurrection ou la menace du privilège. Partout, jusque dans les chambres législatives, dont la composition n’était pourtant nullement hostile à la royauté restaurée, l’inquiétude, l’irritation succédaient à la confiance enthousiaste des premiers momens. Le sentiment révolutionnaire se réveillait, et les agitateurs, ceux qui désiraient un nouveau changement, ne négligeaient rien pour augmenter, par des bruits exagérés ou mensongers, une fermentation dont ils espéraient tirer parti. La masse de la nation n’en était sans doute pas arrivée à souhaiter une autre révolution, mais déjà elle éprouvait pour le pouvoir cette désaffection, ce mauvais vouloir qui, en neutralisant