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mettre en état de tenir tête à son armée rebelle ; il doit, par son appui personnel et par l’action de ses serviteurs et adhérens, faire tout ce qui est en son pouvoir pour faciliter leurs opérations, diminuer par le bon ordre et les arrangemens bien concertés les charges que la guerre va faire peser sur ses sujets fidèles et les engager à recevoir ses alliés comme des amis et libérateurs. Le roi devrait intéresser les alliés à soutenir sa cause, et il ne peut le faire qu’en se mettant lui-même en avant. Votre altesse voit que je ne partage pas son sentiment sur la conduite du roi. Quant à ce qui regarde votre altesse, j’avoue que je ne vois pas comment, jusqu’au moment actuel, elle aurait pu agir autrement qu’elle ne l’a fait. Il n’est pas nécessaire que j’énumère les diverses raisons que vous avez eues de vous tenir à distance de la cour depuis qu’elle est à Gand, mais je les sens toutes, et je crois qu’il en est quelques-unes dont le roi ne méconnaît pas la force ; mais si, comme on peut s’y attendre, l’entrée en France et les premiers succès des alliés amenaient le peuple à se mettre en mouvement, si un grand parti venait à se prononcer en faveur du roi sur différens points du royaume, votre altesse considérerait certainement alors comme son devoir d’offrir ses services à sa majesté. Je me hasarde à lui suggérer ce plan de conduite, en lui donnant d’ailleurs l’assurance que je n’ai eu à ce sujet aucun entretien avec le roi… »


Tous ces plans, toutes ces spéculations de la prudence humaine devaient, comme il arrive si souvent, être mis en défaut par l’événement Déjà prés d’un million d’hommes, soldés en grande partie à l’aide des subsides de l’Angleterre, accouraient de tous les points de l’Europe pour envahir la France. Napoléon, malgré son incroyable activité et son rare talent d’organisation, n’avait pu réunir, pour leur résister, que deux cent cinquante mille soldats, obtenus à grand’-peine de la France épuisée et mécontente. En butte aux soupçons et aux exigences de l’esprit révolutionnaire dont il avait cru devoir invoquer le concours, fatigué, humilié de la comédie de liberté qu’il jouait depuis trois mois avec autant de dégoût que de contrainte, et espérant retrouver sur le champ de bataille, au milieu de ses compagnons d’armes dévoués, la liberté d’action qui était le premier besoin de son âme impérieuse, il se hâta de courir à la frontière pour y combattre la coalition avant que la réunion de toutes les forces dont elle disposait n’eût rendu les chances de la lutte trop inégales. Le 15 juin, au moment où les alliés le croyaient encore à Paris et ne pensaient même pas qu’il dût en partir de si tôt, il forçait par un brillant combat d’avant-garde l’entrée du territoire belge ; le 16, il battait à Ligny l’armée prussienne ; le 18, la sienne se brisait à Waterloo contre la ferme et impassible résistance de l’armée anglaise, secourue au moment décisif par ces mêmes Prussiens qu’il avait vaincus l’avant-veille ; — le 22, de retour à Paris pour essayer de s’y créer de nouvelles ressources, il se voyait contraint d’abdiquer sur l’injonction menaçante de la chambre des représentans, où dominaient