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vint, à bout de faire comprendre à son collègue, non pas qu’elles étaient contraires à la justice et à la politique, mais que, les souverains alliés devant arriver sous peu de jours, il convenait de les attendre avant de rien décider sur de telles matières. Lord Castlereagh, qui s’était empressé d’accourir sur le continent après la bataille de Waterloo, seconda puissamment ces représentations. La présence des souverains et de leurs ministres ne tarda pas à préserver Paris des terribles caprices du vieux maréchal.

Malheureusement l’efficacité de cette protection ne s’étendait pas aux autres parties de la France livrées à l’invasion étrangère. La guerre était terminée, sauf le siège de quelques places, qui, sans se refuser à reconnaître le roi, ne voulaient pas ouvrir leurs portes aux alliés, et cependant chaque jour, de toutes les contrées de l’Europe, des myriades de soldats accouraient comme à la curée pour prendre leur part des dépouilles du vaincu. Jamais dans les temps modernes, ni peut-être à aucune autre époque, on n’avait vu un tel débordement de populations armées ; partout, jusqu’aux portes de Paris, le pillage, les vexations les plus odieuses pesaient sur les infortunés habitans des campagnes, tandis que les villes se voyaient soumises à de lourdes contributions de guerre. Ceux des fonctionnaires français qui essayaient de s’y opposer devenaient l’objet des traitemens les plus rigoureux. Les Prussiens, qui avaient bien des injures semblables à venger ; les Belges, les Hollandais, qui ne pouvaient pas alléguer cette triste excuse, se faisaient surtout remarquer par la brutalité de leurs procédés. Le duc de Wellington, impuissant à réprimer les désordres des troupes placées sous d’autres ordres que les siens, et parfois même ceux de ses propres soldats, en éprouvait une extrême irritation. Ce n’était pas seulement l’esprit de justice, l’amour de l’ordre et de la discipline qui se révoltaient en lui contre de tels excès ; sa prudence en était grandement alarmée. Plusieurs passages de sa correspondance peignent avec de vives couleurs le tableau qu’il avait sous les yeux et les impressions qu’il en recevait. Dès le 14 juillet 1815, dix jours après la rentrée de Louis XVIII à Paris, annonçant a lord Castlereagh que deux officiers anglais avaient été tués la nuit précédente, il lui écrivait :


« Mon opinion bien arrêtée, que je dois exprimer à votre excellence pour qu’elle fasse aux ministres des cours alliées telles suggestions qu’elle jugera à propos, c’est que nous soulèverons tout le pays contre nous et que nous allumerons une guerre nationale, si on ne met pas un terme à l’oppression inutile (je dirais ridicule, si elle ne devait entraîner probablement des conséquences sérieuses) que l’on fait peser sur le peuple français, si l’on n’empêche les troupes des diverses armées de piller le pays et de détruire, sans avantage pour personne, les maisons et les propriétés, et si les contributions que