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pour donner sécurité aux alliés sans mortifier l’orgueil de la nation française, et il était impossible que la France n’y consentît pas lorsqu’elle saurait de quel sacrifice elle avait été préservée par la modération de l’Angleterre et de la Russie. — Lord Castlereagh et le duc de Wellington ne furent pas de cet avis. Sur leurs pressantes remontrances, lord Liverpool et ses collègues cédèrent aussi quant à ce point. Ils y furent surtout décidés par la crainte que de plus longs retards ne fissent naître des difficultés nouvelles, mais ils ne cachèrent pas qu’il leur en coûtait beaucoup de renoncer à leurs premiers projets.

D’accord pour protéger la France, l’Angleterre et la Russie devaient nécessairement l’emporter. Les autres cours avaient compris la nécessité de renoncer à leurs exorbitantes prétentions. On leur fit quelques concessions : outre Landau, donné à la Bavière, la Prusse obtint la place de Sarrelouis, les Pays-Bas celles de Philippeville et de Marienbourg. Le chiffre de la contribution de guerre imposée au gouvernement français et payable dans le délai de cinq ans fut élevé à 700 millions. Un corps de cent cinquante mille hommes, formé de contingens pris dans les diverses armées alliées et entretenu aux frais du trésor français, dut occuper pendant trois ans au moins, et cinq ans au plus, dix-sept de nos places fortes. Enfin le gouvernement du roi s’engagea à faire liquider, par une commission mixte et une commission d’arbitrage, toutes les réclamations qu’élevaient contre la France, par suite des événemens des vingt-cinq dernières années, les sujets des puissances coalisées. Bien qu’on ne prévît pas alors l’énormité de ces réclamations, la somme des sacrifices pécuniaires que ces stipulations diverses faisaient peser sur notre trésor était de nature à effrayer l’imagination. Le chancelier de l’échiquier doutait que la France pût y suffire, ses finances lui paraissant être tombées dans un tel état de ruine et de confusion, qu’il ne pensait pas que de longtemps elle fût en mesure d’acquitter les 5 ou 600 millions auxquels on évaluait alors son budget annuel. Les ministres allemands, les Prussiens surtout, témoignaient à cet égard plus de confiance ; mais il n’est pas bien certain que cette confiance fût sincère, et qu’elle ne cachât pas la secrète espérance que la France, en n’accomplissant pas ses engagemens pécuniaires, fournirait un prétexte de prolonger l’occupation de son territoire.

Un des collègues de lord Castlereagh, lord Bathurst, lui écrivait que sans doute il était bon de régler le mode de paiement sur un pied qui le rendît aussi praticable que possible, mais qu’il fallait pourtant le faire peser assez lourdement sur les ressources de la France pour que les puissances trouvassent dans son épuisement une garantie du maintien de la paix.