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Lord Liverpool, pensant que peut-être le gouvernement français aurait l’idée d’offrir au cabinet de Londres des cessions coloniales pour s’exonérer de la part de la contribution de guerre qui devait revenir à l’Angleterre, avait recommandé à lord Castlereagh de ne pas prendre l’initiative de cet expédient. On devait désirer, disait-il, que la France conservât quelques possessions au-delà des mers pour qu’elle eût quelque chose à perdre en cas de nouvelle guerre maritime. Si cependant le gouvernement français faisait lui-même cette proposition, il ne fallait accepter ni la Martinique, ni la Guadeloupe. qui, malgré leur richesse commerciale, n’avaient, à cause de leur position topographique, aucune importance pour l’Angleterre ; les Saintes en auraient davantage, mais la France tenait à les garder : Pondichéry et Chandernagor étaient trop insignifians ; Bourbon, à défaut de port, avait d’excellens produits en coton et en café ; Cayenne, sans valeur en ce moment, pourrait en acquérir par la suite ; mais ce que l’on devrait préférer, c’était le Sénégal, parce que la possession de ce pays faciliterait beaucoup la répression de la traite.

Les correspondances politiques dont je viens de faire quelques extraits ne peuvent laisser aucun doute sur les sentimens de défiance et de haine que portaient jusque dans l’œuvre de la paix quelques-uns des ministres anglais. Ces sentimens éclatent plus vivement encore dans une lettre que lord Liverpool écrivit à lord Castlereagh pour appeler son attention sur la nécessité de veiller à la sûreté des troupes anglaises qu’on allait laisser en France - et à celle du duc de Wellington lui-même, chargé du commandement de l’armée d’occupation : » Nous ne devons pas perdre un seul instant de vue, lui disait-il, qu’avec quelque humanité et quelque indulgence que nous ayons traité les Français, il nous haïssent beaucoup plus qu’aucune autre nation, et qu’ils se jetteraient avec empressement dans toute entreprise tendant à la destruction des forces mêmes qui les ont sauvés, s’ils croyaient seulement avoir quelque chance d’y réussir. »

On connaît maintenant l’esprit qui avait dicté les clauses du fameux traité du 20 novembre 1815 ; bien rigoureuses encore, malgré les adoucissemens apportés aux exigences primitives d’une partie des cours alliées, ces clauses le parurent d’autant plus au peuple français, qu’il ignorait de quels sacrifices bien autrement cruels il avait été menacé, et que le gouvernement lui-même n’en avait eu une connaissance précise que lorsque le danger était déjà presque passé. Le duc de Richelieu, qui venait de remplacer le prince de Talleyrand à la présidence du conseil et au département des affaires étrangères, dut se résigner, la mort dans l’âme, à inaugurer par la signature d’un tel traité l’exercice d’un pouvoir qu’il n’avait accepté qu’avec répugnance et par un devoir d’honneur. Les chambres votèrent,