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dans un morne silence, les crédits nécessaires pour acquitter les obligations que la France venait de contracter.

Un incident dont l’opinion publique n’avait pas été beaucoup moins affectée que de ce désastreux traité, c’est l’enlèvement des tableaux et des statues conquis dans les diverses contrées de l’Europe pendant le cours de nos victoires, et qui nous furent repris alors, bien qu’on nous les eût laissés en 1814. Longtemps cette spoliation du Musée, comme on l’appelait, a été en France le texte des déclamations les plus passionnées et a soulevé dans les esprits la plus vive indignation : il y avait dans ces déclamations une exagération évidente ; mais, comme il arrive toujours parmi nous, elle n’a cessé que pour faire place à une exagération contraire. Aujourd’hui beaucoup de gens, dans les opinions les plus diverses, ne semblent plus même comprendre que la revendication faite par les alliés ait pu rencontrer une objection. On oublie, quel que fût notre titre primitif à la possession de ces monumens d’art, que l’Europe, en nous les laissant en 1814, avait validé cette possession. et que le moment était mal choisi pour revenir sur cette confirmation, alors que les étrangers reparaissaient au milieu de nous en qualité d’amis et d’alliés du roi ; on oublie surtout que si bon nombre de ces tableaux et de ces statues n’avaient été acquis à la France que par la force et sans aucun consentement de leurs anciens propriétaires, d’autres nous avaient été cédés par des traités formels, après une guerre régulière, en déduction de sacrifices d’une autre nature, et que de nouvelles conventions eussent été nécessaires pour annuler le droit que ces traités nous avaient donné. Ce qui est certain, ce qui ressort d’une manière irréfragable de la correspondance de lord Castlereagh et du duc de Wellington, c’est que la question ne leur parut pas alors aussi simple qu’on a trouvé bon de le supposer depuis. C’est lord Liverpool qui en prit l’initiative peu de jours après l’entrée à Paris des armées anglaise et prussienne. Le 15 juillet, il écrivit à lord Castlereagh cette lettre, si profondément empreinte de la haine qu’il portait à la France : «… Le prince régent m’a particulièrement chargé d’appeler votre attention sur les collections de statues et de peintures que les Français ont pillées en Italie, en Allemagne et dans les Pays-Bas. De quelque manière qu’on en puisse disposer, soit qu’on les rende aux pays où elles avaient été prises, soit qu’on les partage entre les alliés, les armées coalisées ont sur elles, par la conquête, les mêmes droits par lesquels les armées françaises les avaient acquises. Il est très désirable, au point de vue politique, de les faire sortir, s’il est possible, du territoire français, car tant qu’elles y resteront, elles ne peuvent manquer de faire vivre dans la nation française le souvenir