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des mots du patois de ma province que je n’avais plus rencontrés nulle part, souvenir de la longue union de la Bresse et de la Savoie.

Dès le commencement ; Marnix rencontre l’objection que Pascal rencontrera près d’un siècle après lui. Voici comment il y répond dans une préface qui, pour la véhémence, ne reste peut-être pas très loin des Provinciales. On trouve déjà chez lui cette phrase vibrante qui se balance comme une fronde avant de jeter la pierre au but :


« Tu me diras[1] qu’il n’est pas convenable de railler en choses graves qui concernent l’honneur de la majesté du Dieu vivant et le salut des âmes chrétiennes. Je ! e confesse : aussi ne sera-t-il pas question de rire quand nous rechercherons la vérité ; mais si par aventure nous trouvons que ceux que l’on a déjà réfutés et rembarrés un million de fois ne font que piper de nouveau les âmes chrétiennes, n’êtes-vous pas d’avis de découvrir leur vergogne à la vue de tout le monde, puisque leur obstination et impudence effrontée n’admet aucun remède ?

« N’est-ce pas ici le cautère que ce grand prophète Elie appliqua jadis à la gangrène des prêtres de Baal par laquelle ils allaient infectant tout le peuple d’Israël ? Ne voit-on pas qu’après leur avoir proposé la majesté de l’unique Dieu vivant, il expose les profanes contempteurs de Dieu et les marchands de consciences en opprobre et risée à tout le monde ? Il étale leur infamie sur le théâtre de toute la postérité, disant à propos des hurlemens qu’ils faisaient en l’invocation de leurs Baals et faux patrons : « Criez ! criez ! Vos dieux sont-ils encore endormis, ou par aventure sont-ils allés en quelque lointain voyage ? »

« Saint Paul même, voyant l’effrontée audace du sacrificateur qui tenait la place de Dieu, et cependant faisait profession de fouler toute justice et vérité sous les pieds, ne le flétrit-il pas d’une marque d’ignominie avec un sarcasme amer, lui disant qu’il ne savait pas qu’il était sacrificateur ? Et de quelle façon accoutre-t-il, je vous prie, ces faux apôtres qui, sous ombre de sainteté, faisaient marchandise des âmes chrétiennes, usant de plusieurs ironies et risées ? Et même en celle aux Philippiens, il les nomme chiens. Et les anciens pères ont du commencement écrit furieusement contre les païens et contre les hérétiques ; mais, après avoir reconnu que toutes les exhortations et répréhensions étaient sans fruit, ne publièrent-ils pas des livres contre eux pleins de moqueries et sarcasmes par où ils mettaient leurs abominations en opprobre et diffame ? J’en appelle à témoin les livres de dément, de Tertullien, de Théodoret, de Laetance, et même de saint Augustin, qui en sont remplis et montrent que là où il n’y a point d’espoir de remédier au mal et que l’on voit qu’il gangrènerait le reste du corps, il y faut appliquer le cautère d’opprobre, pour leur faire honte de leur impudence ou pour en dégoûter les autres qui se laissent abuser ; voilà pourquoi aussi le philosophe chrétien Herman a écrit un livre qu’il a intitulé l’Irrision des Gentils. Suivant donc ces exemples, je suis d’avis que, traitant les sacrés mystères de la vérité de Dieu avec toute révérence et humilité, nous ne laissions cependant de découvrir

  1. Tableau des différends de la religion, t. Ier, p. 8.