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les seigneurs, les hommes et femmes de presque tous les métiers, vont passer devant les yeux des spectateurs. Jusqu’au lundi de la Pentecôte, les détails du saint et merveilleux drame vont soulever dans le cœur de tous les émotions les plus diverses et les plus puissantes. On comprend quel intérêt profond et toujours constant devait sortir de ce drame, qui donnait la vie aux objets des préoccupations religieuses et journalières de tous les chrétiens. Qu’on se figure à côté de cela l’accompagnement obligé de toutes les fêtes du moyen âge, ces tables chargées de vins et de viandes dressées à chaque porte, toutes les maisons parées et encourtinées, les feux de joie, à tous les carrefours, les danses et rondes dans toutes les rues, la musique de tous les instrumens luttant comme forcenée avec les chansons joyeuses de toutes les cloches, et la ville illuminée, par les lumières qui veillaient à toute fenêtre pendant la nuit entière. C’était là le spectacle que présentaient les fêtes de la bourgeoisie, et c’était là surtout que Coquillart retrouvait les impressions de son enfance.

Les mystères exercèrent sur lui une incontestable influence. Son style a gardé cette vivacité de dialogue, ces locutions populaires et proverbiales qui les distinguent, la même verve, les mêmes tournures alertes et nettement coupées. Peut-être a-t-il rendu aux mystères ce que les mystères lui avaient donné ; dans la Vengeance de Notre Seigneur entre autres, j’ai retrouvé bien des mots qui lui sont propres, des expressions avant lui inconnues, oubliées depuis, et je ne serais pas étonné qu’il eût eu une grande part à la création de cette pièce. Les tentures et tapisseries des églises remettaient journellement du reste sous les yeux de tous les habitans les personnages de la passion. C’était à cette époque aussi qu’on achevait ces superbes toiles peintes dont les gens de Reims étaient si fiers, et qui devaient rivaliser avec les modèles d’Arras et de Nancy. Ces toiles étalent de vives peintures, des personnages richement et brillamment habillés : ce sont là aussi les qualités de la littérature de Coquillart. Cette littérature prenait en effet son origine, de même que les images, dans le génie rémois du XVe siècle ; comme les images aussi, elle naissait de la réalité prise sur le fait et marquée au sceau d’une originalité intraitable. Il y a bien pourtant dans les mystères deux qualités que Coquillart ne nous montrera pas, — la naïveté et la simplicité. Ces deux vertus auront disparu au moment où il prendra la plume, mais il les aura vues assez en honneur pendant la première moitié du XVe siècle pour qu’elles puissent lui servir de point de comparaison vis-à-vis du monde moderne. L’amour qu’il aura conservé pour elles, le souvenir des saintes leçons et des graves vertus maternelles seront la cause de son amertume et l’aiguillon de sa satire.

En ce moment, mais en dehors des fêtes officielles qui suivaient encore les erremens des traditions, la lutte commençait entre cette naïveté, cette bonhomie des vieilles mœurs et la légèreté inconstante et inconsidérée des nouvelles. L’observateur partageait son loisir entre les unes et les autres. Pendant les temps de pénitence de l’avent et du carême, quand il fallait visiter ses vieux parens ou les graves protecteurs, il mettait modestement un voile sur ses yeux malins, une sourdine à sa verve plaisante. Il venait s’asseoir à quelque sérieuse veillée en l’enclos du chapitre, à l’hôtel de quelque savant chanoine fort épris de maître Alain Chartier, et qui récitait, aux jours gras