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politique un soupçon de déloyauté. Son premier mouvement avait été de désavouer les insurgés de la manière la plus éclatante. Malheureusement pour la porte, qui à cette époque conservait encore, dans son affaiblissement progressif, l’orgueilleuse et ignorante férocité du temps des Mahomet II et des Soliman, elle ne comprit pas combien il lui importait de ménager de telles dispositions, que d’ailleurs elle ne croyait pas sincères. S’associant aveuglément à l’exaspération d’un peuple barbare et fanatique, elle se livra, et contre les insurgés et contre tous ceux qu’elle soupçonnait de leur être favorables, à d’effroyables cruautés ; elle ne craignit pas de fouler aux pieds les privilèges des populations chrétiennes, sans en excepter ceux que les traités avaient placés sous la garantie de la Russie. L’Europe, presque sans distinction d’opinions et de partis, se sentit saisie d’un sentiment d’indignation et de pitié auquel se mêla bientôt le plus vif enthousiasme pour l’héroïque résistance des Grecs. En Russie surtout, ce sentiment prit un caractère d’autant plus exalté, que la communauté de religion créait en faveur des victimes un nouveau lien de sympathie. L’empereur Alexandre, cédant à l’entraînement général, réclama énergiquement en faveur de l’humanité et des traités violés. Ses réclamations furent reçues de telle sorte qu’il crut devoir rappeler son envoyé ; le 31 juillet 1821, M. de Strogonof quitta Constantinople avec toute sa légation.

La guerre semblait imminente. Toutes les grandes puissances s’interposèrent pour la prévenir. Leur attitude et leurs intentions n’étaient pourtant rien moins qu’identiques. Le gouvernement français, ami sincère de la Russie et partageant d’ailleurs la bienveillante pitié qu’excitaient dans toutes les âmes généreuses les souffrances du peuple grec, appelait sans doute de ses vœux un arrangement pacifique, mais un arrangement conforme à la dignité du cabinet de Saint-Pétersbourg et qui donnât satisfaction à ses légitimes griefs. Il s’efforçait de calmer le ressentiment d’Alexandre, de lui faire prendre patience, et lorsque ce prince, dans ses conversations avec M. de La Ferronnays, essayait de s’assurer éventuellement l’appui de la France en faisant luire à ses yeux des espérances d’agrandissement territorial, on laissait tomber ces offres, conçues, il est vrai, en termes bien vagues. Cependant il était évident pour tout le monde que si la guerre venait à éclater, la Russie ne compterait pas la France au nombre de ses adversaires. Il en était tout autrement de l’Angleterre et de l’Autriche. Pour elles, la grande, j’ai presque dit l’unique question, était d’empêcher la Russie, déjà si puissante en Orient, d’y faire de nouveaux progrès, d’y acquérir un surcroît d’influence. La cause des Grecs les touchait fort peu ; tous leurs vœux tendaient à la prompte répression d’un mouvement insurrectionnel qui était venu déranger