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amis avaient de grandes prétentions à la science de l’éducation. Le précepteur avait à écouter toutes les conversations des beaux esprits du temps sur ce sujet. Tantôt c’était Duclos, avec son ton impérieux et décisif, qui faisait la loi, tantôt c’était Rousseau ; Mme d’Ëpinay commentait le tout, et Linant était chargé d’exécuter. Ce sont de véritables scènes de comédie que ces diverses scènes de l’éducation du fils de Mme d’Épinay ; mais ces comédies peignent de la façon la plus curieuse le monde du temps, et de plus elles nous font comprendre quelques unes des idées qu’avait Rousseau en faisant son Émile.

La première scène est entre Mme d’Épinay, Duclos et Linant. Duclos à ce moment visait à devenir l’amant et le directeur de Mme d’Épinay, et il employait pour arriver à ses fins beaucoup d’intrigue et de perversité, qu’il couvrait d’une brusquerie que le monde prenait pour de l’honnêteté. Mme d’Épinay, qui n’avait pas encore appris à le connaître, ne demandait pas mieux que de faire de Duclos son oracle, mais non son amant, et elle le mena un jour au collège d’Harcourt, où son fils était en chambre avec son précepteur, voulant, dit-elle, mettre Duclos aux prises avec Linant sur l’éducation. On arrive au collège : Duclos examine un thème que faisait l’enfant, le trouve trop difficile, et en donne un autre ; Linant défend son thème et son latin tant qu’il peut. — « Que diable ! lui dit Duclos l’interrompant, c’est bien là ce dont il doit être question dans une éducation ! Ne dirait-on pas qu’on élève tous les hommes pour en faire des moines ?… Mais avant d’aller plus loin, monsieur, qui êtes-vous ? — Comment, monsieur, qui je suis ? — Oui, votre père, votre mère, leur état ? D’où venez-vous et qu’avez-vous fait ? — Monsieur, je ne vois pas ce qu’a de commun ?… - Diable ! vous ne voyez pas ? Pour savoir si vous pouvez élever, il faut savoir si vous avez été élevé vous-même. — Eh bien ! monsieur, j’ai été élevé aux jésuites. — J’aimerais bien autant que ce fût ailleurs. — J’étais un des forts compositeurs en grec. — Je vous en révère. Savez-vous le français, monsieur ? — Monsieur, je m’en flatte, et je crois que c’est à juste titre. — Bien cela. — Je suis fils d’un intendant de M. le duc ***. — Je connais le duc. Sa maison a toujours été très bien rangée, j’en conclus que monsieur votre père n’est pas riche, et je vous en fais mon compliment… Revenons à l’emploi de votre temps… Dès que vous suivez les classes, je sais votre affaire. — Sans doute, monsieur, répondit M. Linant, que peut-on faire de mieux ? — Tout le contraire de ce que vous faites, monsieur, car tout cela ne vaut pas le diable. Et quelles lectures ? — Monsieur, nous expliquons ensemble le Selectoe - Encore du latin !… Les lectures ? -Un peu d’Imitation de Jésus-Christ et une fois par semaine la Henriade de Voltaire. — Je vous avoue, lui