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trempe toute française, en ce sens que, comme Poussin, comme David quelquefois, le peintre de Virgile lisant l’Enéide et de Stratonice sait ajouter à la majesté antique le naturel et l’émotion. Que l’on se rappelle ce tableau de Virgile, cette scène de famille si solennelle et si vraie à la fois : peut-être, parmi tous les sujets tirés de l’antiquité, ne rencontrera-t-on rien dans les écoles étrangères qui témoigne d’une pareille sûreté de goût unie à tant de puissance expressive, et l’on ne peut, nous le croyons, rapprocher d’une telle composition que ces deux autres compositions admirables, dues aussi au génie de maîtres français : le Testament d’Eudamidas et la Mort de Socrate. M. Delaroche n’accuse-t-il pas nettement son origine par l’ingénieuse prudence de ses calculs, par son amour de l’exactitude et son habileté à intéresser l’esprit, et M. Delacroix lui-même, tout disciple qu’il est de Rubens et de Paul Véronèse, ne se rattache-t-il pas dans ses meilleurs momens aux peintres de notre pays par la vigueur du sentiment dramatique et la portée morale des intentions ? Il ne serait pas difficile de retrouver chez d’autres talens contemporains bien des indices de filiation, bien des points de ressemblance ou de rapport avec les talens qui ont autrefois honoré notre école ; mais il est temps de nous arrêter et de résumer en quelques lignes la pensée de cette étude.


III

En face des monumens de chaque époque, il est difficile de s’expliquer cette tendance si générale parmi nous à sacrifier de prime abord les œuvres de la peinture française aux œuvres de l’art étranger ; encore moins peut-on admettre ce reproche de versatilité qu’il est de règle d’adresser aux artistes de notre pays. Si l’école française n’a pas l’incomparable éclat des écoles italiennes, si même, à un moment donné, elle est éclipsée en partie par les écoles des Pays-Bas, elle a du moins le mérite d’une fécondité continue et une physionomie par-dessus tout sensée, quelque chose de grave et de recueilli, même aux époques de trouble apparent, de logique, alors même qu’elle semble se démentir. On a appelé Poussin le peintre des gens d’esprit : le mot peut s’appliquer à l’ensemble des peintres français. Les tableaux qu’ils ont produits s’adressent si directement à l’intelligence, qu’une simple description suffirait, en beaucoup de cas, pour faire pressentir les formes et le caractère de l’expression. Faut-il voir dans ce fait un témoignage d’aptitudes plutôt littéraires que pittoresques ? — Peut-être ; mais il faut y voir aussi une preuve de l’extrême netteté avec laquelle les conditions morales des sujets sont comprises et définies, à quelque genre d’ailleurs qu’appartiennent