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de son secret paraît imminente, il y va de l’honneur de la reine, et Tristram s’exile ; mais nulle part il n’échappe au souvenir de celle qui, de loin comme de près, le possède corps et âme. Une autre Iseult, la princesse de Bretagne, Iseult aux blanches mains, « la plus douce chrétienne qui fut jamais, » aime le chevalier errant, et par reconnaissance il l’épouse. Des années s’écoulent, et un jour Tristram est rapporté blessé dans son vieux donjon au bord de la mer. À ce moment s’ouvre le poème : Tristram, miné par la souffrance, est couché sur son lit, près d’une croisée donnant sur l’océan. La pluie fouette les murs, le vent gémit tristement, et aux rares rayons de la lune on découvre parfois un bateau de pêcheur luttant contre la violence des flots. Une seule lampe éclaire la chambre du malade près duquel veillent son page et son chien de chasse. Devant l’âtre se tient une forme féminine dont les rouges lueurs du feu révèlent l’attitude morne et découragée. « Qui est-ce ? demande le malade tout bas au page. — Iseult, répond celui-ci. — Pas l’Iseult que j’attends ! » soupire Tristram, et il se retourne dans son lit. Il a envoyé chercher la reine de Cornouailles, et chaque minute renouvelle pour lui des alternatives de crainte et d’espoir. Sa fièvre le fait revivre dans les différentes phases du passé où son fatal amour a le plus triomphé de sa raison ; il traverse la mer avec Iseult ; ils boivent à la coupe empoisonnée ; épouse et reine, il la voit fuyant les splendeurs de son palais pour venir le rencontrer au fond de quelque verte clairière des bois. Puis, séparé d’elle plus tard, il revoit les champs de bataille où il a combattu ; mais « à travers les épées et les lances brillait toujours ce visage adoré, » et à la guerre avec le roi Arthur comme auprès de Lancelot à Joyeuse-Garde, toujours ce même souvenir le poursuit : « Iseult ! » C’est par ce mot que se termine chaque accès de délire, et Iseult, l’épouse, ne se retourne point ni n’accourt, car elle sait que dans la bouche de Tristram ce nom désigne une autre femme.

Tout d’un coup cependant le blessé se ravise. « Il est temps de cesser ta veille, dit-il doucement à la princesse. Va, repose-toi, dors auprès de tes enfans. » Dans une tour éloignée, l’humble et patiente femme contemple tristement deux enfans couchés dans le même berceau, « pauvres petits oiseaux abrités par le même nid. » Elle note avec amour chaque mouvement de leurs petites mains étendues sur la blanche couverture, et se demande quels rêves animent ce sommeil d’ange. « Voient-ils leurs recoins favoris du bois illuminés à cette heure par la lune comme des palais de fées, et à chaque rouge feuille des chênes un diamant pendu par la pluie ? ou, plus loin encore, au-delà des arbres étincelans, voient-ils les landes étendre leurs grandes nappes blanches jusque dans le cœur de la Bretagne ? ou