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le reboisement du sol forestier[1]. Ici, elles éclaircissent les broussailles pour donner du jour aux sujets forestiers qui s’y trouvent, oliviers pour la plupart ; plus loin, elles font des semis, comme sur la plage de Mostaganem, par exemple ; ailleurs, elles créent des pépinières forestières, et ouvrent des tranchées de transplantation, comme à Orléansville et dans le Sahel d’Alger. Dans la province de Constantine, plus boisée, elles font surtout l’office de gardes forestiers, ou démasclent les chênes-lièges. Partout nous avons vu à l’œuvre ces ouvriers militaires. Depuis le soldat qui tient la pioche jusqu’à l’officier qui le dirige, sous la surveillance des agens de l’administration forestière, tous se sont pris d’un bel amour pour leur ingrate besogne, au point qu’ils changeraient avec regret la tente qui les abrite contre la caserne, d’une garnison urbaine. Dans leurs momens perdus, ils se sont même construit, ici des gourbis, là des maisons. Ils ont aussi essayé la greffe des oliviers. Dans la forêt de Muley-Ismaël, sur la route d’Oran à Saint-Denis-du-Sig, ils ont opéré sur 12,000 pieds. À l’Oued-Chouli, sur la route de Tlemcen à Bel-Abbès, il y a un peloton de quelques hommes uniquement occupés au greffage. Dans le Sahel, à mesure que les planteurs découvrent un pied d’olivier dans les broussailles, ils le greffent, et le nombre de sujets ainsi dégagés des broussailles et mis à jour est infini. Malheureusement ces greffes, faites par des mains inexpérimentées, ont mal réussi en général, et reviennent trop cher d’ailleurs. Du reste, à part la dépense et le temps mal employé, il n’y a pas grand mal, car les oliviers couronnés pour la greffe repoussent des jets plus vigoureux sur lesquels on pourra plus tard poser l’écusson, le mode de greffage qui a réussi le mieux jusqu’ici.

Voilà donc une double œuvre à poursuivre, développement des grandes frondaisons en Afrique par l’extension donnée d’une part aux plantations utiles, de l’autre au sol forestier. Seulement il faudra du temps, peut-être un demi-siècle, avant que le sol de l’Algérie, ainsi reconstitué et bien entretenu, puisse réagir efficacement sur le régime des eaux. D’ici là, que faire pour développer sur le sol les bienfaits aujourd’hui fort restreints de l’irrigation ? Il s’agit, — rappelons-le, — d’établir 2 millions de colons sur 4 millions d’hectares tout au plus, de les établir par conséquent dans des conditions de culture industrielle, chose qui doit avant tout nous préoccuper. Pour les cultures industrielles, il faut de l’eau. Or dans l’état actuel, en ne prenant que les plaines et les plateaux arrosables, il y a possibilité d’irrigation pour 1 hectare sur 100, ici un peu plus, là beaucoup moins[2]. À côté de l’œuvre de

  1. La création des compagnies de planteurs a donné naissance à un projet de reboisement fort ingénieux, dont nous parlons ici pour mémoire, parce qu’il a, dit-on, pour patrons le préfet d’Alger et le gouverneur-général lui-même. Il consiste à échelonner, de lieue en lieue, sur toutes les routes principales d’Afrique, un petit bois d’un hectare de Contenance, qui servirait en même temps de Rome milliaire et de station de repos ou d’abri au voyageur dans les fortes journées de soleil.
  2. Ainsi les localités les mieux aménagées pour la distribution des eaux, toutes deux arrosées par la Mekkera, sous des noms différens, sont Sidi-Bel-Abhès et Saint-Denis-du-Sig. À Sidi-Bel-Abbis, où le territoire arrosable est de 14,000 hectares, desservi par 5,000 mètres de canaux, il n’y a possibilité d’Irrigation que pour 600 hectares tout au plus ; à Saint-Denis-du-Sig, doté d’un barrage très-complet, le territoire arrosable est sans limite, peut-on dire. En réalité cependant on n’a pas assez d’eau pour 400 hectares, et la preuve, c’est que les colons du Sig se plaignent d’être sacrifiés aux colons de Sidi-Bel-Abbès, et de ne pouvoir porter, faute d’eau, à plus de 350 hectares leurs cultures de tabac et de coton. Et pourtant Saint-Denis-du-Sig est peut-être avec Bouffarick la colonie la plus prospère de toute l’Afrique.