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une haute idée des avantages que pouvait offrir un établissement durable dans ces contrées, et ce ne fut qu’une longue habitude qui put vaincre leurs répugnances.

La description, très remarquable et singulièrement exacte à beaucoup d’égards, que nous donne le chef moghol de l’Hindoustan se ressent d’ailleurs de ses habitudes occidentales et de ses préjugés. Il voit dans l’Hindoustan, et à juste titre, un monde nouveau. La neige qui siège éternellement sur les hautes montagnes du Tourân a disparu dans ce pays si différent des autres. Il manque à ses innombrables districts, pargannâs, états et tribus, cet arrosement plein de fraîcheur des sources et des ruisseaux des montagnes, qui répandent un charme si attrayant sur l’Iran, le Kaboulistân et le Tourkestân. De grands fleuves, il est vrai, enflés considérablement pendant la saison des pluies, débordent de leurs rives élevées et fertilisent les pays plats du Gar’m-sar (pays chaud), qui a en conséquence ses arbres, ses minéraux, ses animaux qui lui sont propres, ses tribus nomades, ses mœurs et ses coutumes ; mais Bâbăr n’y remarque aucun canal pour l’irrigation artificielle. Il signale seulement dans le Pândjâb, le Sirhind, à Agra et dans quelques autres endroits, des roues à puits, çà et là des étangs et quelques réservoirs, peu d’eaux courantes. Il est frappé du grand nombre d’espaces couverts de broussailles et d’arbrisseaux épineux où les paysans des pargannâs trouvent un asile de difficile accès, lorsqu’ils veulent se refuser au paiement des contributions excessives exigées par les percepteurs : ce sont les lieux désignés en hindwi par les mots djangall téri ou djangall tchettra, et plus tard, dans les rôles des contributions du Bengale, par ceux de djangall mahâls (districts forestiers), d’où l’expression djangall (ou djongle), devenue d’un usage si général parmi les Anglais dans l’Inde. L’historien Férishta, cent ans plus tard, re- marquait encore que ces touffes de bois qui s’étendent par toute l’Inde avaient favorisé plus d’une fois les révoltes des populations. Bâbăr trouve le pays uniforme, les villes mal construites, les villages misérables, les palais et les jardins indignes d’être comparés à son paradis du Kaboulistân. Les populations demi-nues de l’Hindoustan lui paraissent aussi peu recommandables que leur pays : les habitans sont surtout agriculteurs et pasteurs, mais ils ne sont pas beaux, « ne connaissent point les douceurs de l’intimité sociale » (ce qui, dans la pensée de Bâbăr, signifie qu’ils ne sont pas joyeux compagnons et francs buveurs). L’amitié, l’échange des sentimens libéraux, la vie de famille, leur sont, selon lui, étrangers. Il ne reconnaît aux Hindous aucun génie, aucune délicatesse dans l’esprit, aucun talent pour l’architecture, etc. Il énumère beaucoup de choses qui lui manquent dans l’Inde et qu’il possédait dans son pays. Il soupire après