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D’ailleurs il y a, quoi qu’on fasse, une littérature sacrée. Il y a même une théologie philosophique à l’usage de tout le monde, et qu’on ne saurait dédaigner, avec la meilleure volonté possible de ne penser à rien. Il faut bien se résoudre à entendre quelquefois parler de Dieu. On a beau dire, l’existence et la nature de Dieu (car ce mot de nature, singulier à cette place, est cependant admis) ne sont pas des sujets qui, pour être trop vieux ou trop sublimes, puissent être abandonnés. Les plus grands esprits de tous les siècles s’en sont occupés, ils n’ont pas cru avoir perdu leur peine parce qu’ils ont laissé devant eux encore bien de l’inconnu et constaté seulement certains mystères où le génie jette la sonde, mais sans en toucher jamais le fond. Cette sorte d’ignorance sur l’infini n’est pas plus facile à acquérir qu’humiliante à reconnaître. Ce qui est aisé et honteux, c’est de se complaire à ne pas même savoir qu’on ne sait pas ; c’est de se détourner de toute réflexion sur le premier intérêt de l’humanité. Ceux mêmes qui estiment qu’une croyance d’instinct ou de tradition les dispense de tout effort d’esprit (et l’inattention de ceux-là est assurément la plus excusable) ne peuvent ignorer que le monde entier ne partage pas leur sécurité ou leur indifférence. Il est impossible de se dissimuler qu’en dehors des croyances communes à toutes les nations, et même à toutes les sectes chrétiennes, un effort agressif a été tenté dans ces vingt dernières années contre les principes fondamentaux et philosophiques de ces croyances. Un mouvement assez étendu s’est manifesté sur divers points, sous diverses formes, en faveur de ce qu’il faut bien appeler brutalement du nom d’athéisme. Un travail intellectuel s’est fait particulièrement en Allemagne, dont l’analogue, ce nous semble, ne se rencontrerait dans les mêmes proportions à aucune époque de l’histoire, et il a eu pour but, souvent pour effet, de renverser les données de toute religion, en intervertissant celles mêmes de l’esprit humain. Le matérialisme pratique, auquel du reste toutes les opinions ont concouru dans ce siècle, et pour lequel les plus conservatrices ont autant fait que les plus révolutionnaires, s’est peu à peu transformé en une doctrine tour à tour sociale ou cosmologique, qui sanctifie la passion du bien-être en profanant le sentiment du droit et rabaisse l’homme en effaçant Dieu. Parce que ces doctrines sont en même temps révolutionnaires, des écrivains ont cru qu’elles tomberaient devant une réaction politique, et qu’il suffirait, pour les anéantir, de la force et du silence. C’est en effet un assez sûr moyen d’oublier qu’elles existent ; mais ce pourrait bien être aussi le moyen de les fomenter et de les propager, en donnant à leurs adhérens des griefs, des prétextes et quelquefois des raisons. On ne peut s’empêcher de trouver plus prévoyans