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en le lisant, enfoncé si avant dans l’abstraction, — tels sont les principaux mérites d’un ouvrage rarement loué pourtant comme il en est digne, peut-être même un peu oublié avant ces vingt-cinq dernières années où l’Université l’a remis en honneur dans ses écoles.

Il n’est pas absolument nécessaire de savoir la mécanique pour employer la force, ni même la géométrie pour mesurer l’étendue. De même, la théodicée comme science n’est pas indispensable pour la conduite de la vie morale. Cependant il ne faut pas exagérer cette distinction entre la théorie et la pratique ; on risquerait de nier ou de méconnaître l’importance de l’instruction élémentaire et de la religion positive. Toute religion est au fond une théodicée destinée à devenir populaire, et pour ne parler que de la nôtre, le catéchisme contient, sous une forme qu’on s’efforce de rendre très simple, les mêmes vérités que les écrits de saint Augustin ou de saint Thomas. Or nul ne peut nier que dès là qu’il est enseigné, il est désirable qu’il soit universellement compris. Le paysan qui l’a compris suffisamment n’est déjà pas sans quelque philosophie. Une éducation plus développée comporte une initiation plus complète à la religion et à la philosophie, et c’est pour cela qu’encore que l’espèce humaine n’ait pas besoin d’avoir lu Leibnitz ou Fénelon pour croire en Dieu, la science d’un Leibnitz ou d’un Fénelon est nécessaire à l’espèce humaine, et une grande reconnaissance est due à ceux qui rangent sous forme méthodique les croyances un peu confuses de la multitude, et ajoutent à leur empire naturel sur notre âme l’autorité de la démonstration.

Le mot démonstration s’applique en effet à l’existence de Dieu et à celle d’une partie au moins de ses attributs. Socrate mourant en parle dans le Phédon avec une certitude qu’il n’ose attribuer au même degré à l’attente d’une autre vie : il donne à Dieu la foi, et à l’avenir l’espérance. Depuis que le christianisme a permis à tous, même aux petits enfans, les convictions consolantes qu’un long travail révélait aux sages de l’antiquité, ses plus grands docteurs n’ont pourtant pas trouvé superflu de remonter didactiquement aux fondemens de toute croyance religieuse ; ils ont jugé qu’une certitude scientifique n’était pas une base inutile à des dogmes sacrés qui supposent des vérités primitives accessibles à la pure raison ; ils n’ont pas cru que, même pour un chrétien, il y eût à regretter le temps consacré à l’établissement de cette courte proposition : Dieu est.

Quelles sont les preuves dont se compose cette démonstration ? Ce serait une œuvre intéressante que de les recueillir toutes, que d’en déterminer la valeur, que d’en chercher l’origine, que d’en raconter l’histoire. Ce dernier point a été traité d’une manière remarquable dans un ouvrage de M. Bouchitté, et cet écrivain a marqué notamment avec sagacité la différence qui existe entre la preuve savante et