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son nom contre celui d’Oratoire de l’immaculée Conception, ce qui a dû désarmer les jésuites et les délivrer de tout soupçon de quelque entente avec les dominicains, eux-mêmes en bonne voie de s’amender. Enfin, toutes les précautions prises, il s’est trouvé qu’une maison était ouverte où pouvaient se réunir, dans la foi et dans l’étude, des prêtres qui ne demandent que la permission de ne pas faire une variante à ces mots de l’Écriture : « Pratiquez la vérité dans la charité, » en les lisant ainsi : « Pratiquez la vérité dans l’autorité. »

Ab Jove principium. La première question, et la dernière sans doute, c’est Dieu même. Dieu est-il, et qu’est-il ? L’homme le plus assuré de la divine existence aime à se reposer incessamment cette question suprême, à la méditer de nouveau, à la résoudre encore, tout comme s’il avait la moindre incertitude. Ce sont ceux qui ont des doutes qui souvent y pensent le moins. La foi, pas plus que la philosophie, ne se lasse de remonter au principe de toute foi et de toute philosophie, et là est une vérité toujours nouvelle dont les misères du temps rehaussent encore le prix et rajeunissent en quelque façon l’éternité.

Cette science qu’Aristote et Platon ont appelée la théologie, les modernes, pour éviter toute confusion, la nomment, depuis Leibnitz, théodicée. On sait que Leibnitz, ayant entrepris de répondre à Bayle sur les relations de l’existence du mal avec la justice de Dieu, écrivit ce mot au titre de son ouvrage. Comme il est impossible de séparer absolument la justice de Dieu de ses autres attributs, la théodicée les embrasse tous. Le mot est beau et mérite d’être conservé. Quoiqu’on puisse recueillir dans nos premiers écrivains plus d’une éloquente page sur la Divinité, quoique les cours publiés à l’usage des écoles ecclésiastiques et laïques contiennent de saines notions sur la nature divine, notre littérature n’abonde pas en livres de théodicée. Nous ne pouvons guère dans le passé citer qu’une partie du traité de la Connaissance de Dieu et de soi-même de Bossuet, le traité de l’Existence de Dieu de Fénelon, et le quatrième livre de l’Émile de Rousseau ; mais Bossuet, selon son usage, s’est borné au simple et à l’excellent supérieurement dit, sans se jeter dans les profondeurs où la science pénètre en hésitant. Rousseau a présenté avec une force émouvante tout ce que l’on peut rendre populaire d’une question sublime en lui conservant sa sublimité. Je n’hésite pas à regarder l’ouvrage de Fénelon comme le meilleur qui existe dans notre langue sur ce grand sujet ; on y trouve sans doute la douceur et le charme qui embellissent tous ses écrits ; mais l’élévation des pensées, la justesse du langage, même cette subtilité et cette hardiesse métaphysique sans lesquelles rien n’est pénétré à fond, un habile et libre emploi de toutes les idées que les inventeurs en philosophie avaient mises sous sa main, enfin une clarté si pure qu’on ne se croit pas.