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pratique à son tour avec tant de bienveillance, que partout où il aperçoit quelques analogies de pensée et de langage, il aime à reconnaître le christianisme, ou du moins sa théodicée. Par des citations bien choisies, des traductions habiles, il la montre non-seulement dans Platon, mais jusque dans les philosophes d’Alexandrie ; et comme ces derniers prétendaient concilier Platon et Aristote, Thomassin, qui ne doute pas assez de leur pur platonisme, admet encore, sur leur parole, Aristote parmi les siens. Leurs idées sur la vision divine sont facilement présentées dans un sens orthodoxe. Une certaine trinité, personne ne l’ignore, se rencontre dans Platon, ou du moins dans ses œuvres ; la triade joue plus certainement encore un grand rôle dans la philosophie alexandrine : cette analogie a frappé des pères de l’église et méritait d’être remarquée ; elle est presque acceptée comme une identité par le père Thomassin. Plotin et Proclus sont amenés ainsi à rendre témoignage en faveur de Platon et de saint Jean. M. Lescœur ne pousse pas aussi loin la complaisance de son éclectisme, mais il se borne à quelques restrictions un peu vagues. Il semble craindre, en serrant de plus près les questions, d’affaiblir la vérité générale du système qu’il reproduit, et, en applaudissant à son impartialité, nous trouvons presque qu’il l’exagère, car voici, selon nous, la mesure du vrai : la philosophie n’est pas la religion ; mais la religion et la philosophie professent sur Dieu et sur l’âme des vérités communes que l’une révèle, que l’autre déduit, et ainsi dans le cercle de ces vérités elles ne se combattent ni ne se suppléent l’une l’autre, mais elles peuvent se concilier et même s’appuyer l’une l’autre, la philosophie pouvant convaincre les esprits que la foi ne persuade pas, et la religion persuader ceux que la philosophie ne saurait convaincre.

Nous ne connaissons l’ouvrage du père Thomassin que par celui de son habile interprète, et la traduction analytique que nous lui devons nous donne de ce père l’idée d’un écrivain qui ne manque ni de sagacité ni d’élévation, qui dispose avec ordre, expose avec clarté les grandes pensées des plus grands esprits ; mais il nous paraît posséder plutôt une intelligence générale des questions qu’une véritable pénétration philosophique, et son érudition n’est pas guidée par une critique assez sévère. Son éclectisme, pour parler un langage d’école, tombe dans le syncrétisme, c’est-à-dire qu’il prend quelquefois de simples analogies pour une parfaite uniformité.

Ce n’est pas d’hier que l’on a tenté d’identifier le platonisme avec la doctrine chrétienne. La comparaison en était naturelle ; elle montrait de réelles ressemblances et permettait de spécieux rapprochemens. Certains pères, nommés pour cette raison platonisans, séduits par la beauté de ce qu’ils appelaient eux-mêmes les dogmes de la philosophie, dogmata Platonis, l’ont faite orthodoxe pour l’admirer