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Cependant l’ennui me tourmente singulièrement. Je voudrais être sur la terre ; si je n’étais pas le bon Dieu, je me donnerais au diable.

Toi, Gabriel, ange aux longues jambes, va, mets-toi en route, va me chercher mon digne ami.

Ne le cherche pas aux cours de l’université, cherche-le dans une taverne de buveurs ; ne le cherche pas à l’église Sainte-Edwige, cherche-le chez mademoiselle Meyer.

L’ange ouvre ses deux ailes et s’envole ; il le prend et l’amène, mon digne ami, mon cher Bengel !

Oui, jeune homme, je suis le bon Dieu et je gouverne la terre ! Je te l’avais bien dit que je saurais faire mon chemin.

Chaque jour, je fais des miracles dont tu vas être ravi. Pour te divertir aujourd’hui, je m’occuperai du bonheur de la ville de Berlin.

Je veux que les pavés de la rue s’entr’ouvrent, et que chaque pierre contienne une huître claire et fraîche.

Je veux qu’il pleuve une rosée de jus de citron, et que le meilleur vin du Rhin coule des fontaines de la ville.

Comme les Berlinois vont se réjouir ! Les voilà déjà qui sortent pour se régaler. Ces messieurs du tribunal aulique vont avaler tous les ruisseaux.

Que les poètes aussi vont être heureux de cette farce divine ! Les lieutenans et les enseignes lécheront le pavé de la rue.

Les lieutenans et les enseignes sont les plus avisés des hommes ; ils savent qu’on ne voit pas tous les jours de miracle comme celui-ci.

LX.

Je vous ai quittée aux plus beaux jours de juillet et je vous retrouve en janvier. Vous aviez bien chaud alors ; aujourd’hui vous avez frais, et vous me montrez même de la froideur.

Bientôt je vous quitterai encore, puis je reviendrai de nouveau ; alors vous n’aurez ni chaud ni froid. Je foulerai la pierre de votre tombe, et moi, mon cœur sera vieux et appauvri.

LXI.

Me voici arraché aux belles lèvres, me voici arraché aux beaux bras qui me tenaient amoureusement enlacé. J’y serais bien resté un jour encore, mais le postillon arrivait avec ses chevaux.

Voilà la vie, enfant, une continuelle plainte, un continuel adieu, une séparation continuelle. Ton cœur ne pouvait-il donc s’attacher au mien avec plus de force ? Tes yeux mêmes ne pouvaient-ils pas me retenir ?