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qu’elle trahissait en cherchant à les tromper, elle a voulu prendre parti pour l’ennemi de l’Occident, et elle a contraint ses protecteurs les plus désintéressés à lui infliger une sévère humiliation. Il est douloureux pour ceux qui aiment la Grèce de suivre le fil des misérables intrigues qui ont mené là ce malheureux pays. Nous reculerions devant cette tâche, si elle n’avait pour but que d’étaler les fautes des Grecs et d’exciter l’animadversion contre eux ; mais, à nos yeux, les Grecs sont à peine responsables de leur ingrate folie. Ils sont les victimes de la politique russe, qui a fait d’eux ses instrumens, et c’est une des œuvres les plus regrettables de cette politique que nous voulons exposer en racontant les agressions tentées par le gouvernement grec contre l’empire ottoman. Les Hellènes ont d’ailleurs d’autres amis qui ne leur ont guère été moins dangereux que les Russes. Il y a un philhellénisme funeste qui s’étudie à pallier les fautes et les vices des Grecs, qui enivre leur amour-propre, qui exalte par ses aveugles complaisances leurs plus chimériques ambitions, et qui les pousse aux extravagances et aux cruelles déceptions dont nous sommes témoins. La meilleure, la plus sûre façon de témoigner sa sympathie au jeune établissement hellénique et de servir son avenir, c’est au contraire de dire la vérité sur la Grèce et de dire la vérité aux Grecs. Tel est, suivant nous, le seul moyen de faire encore tourner au profit de la Grèce sa dernière mésaventure.

La prétention de la Grèce, celle qui vient de lui faire jouer un si fâcheux rôle, a été de s’étendre, de s’agrandir, d’absorber dès aujourd’hui non seulement l’élément hellène, mais toutes les populations chrétiennes de l’empire ottoman. Avant d’examiner dans quelles circonstances et sous quelle forme cette prétention s’est produite, il faut la confronter pour ainsi dire avec la situation du royaume hellénique. Il est clair que par elle-même la Grèce n’est pas capable de rien conquérir : elle ne peut attendre d’agrandissemens que de la décision des gouvernemens européens. Or a-t-elle mérité jusqu’à présent l’estime, la confiance de ces gouvernemens ? s’est-elle montrée bien digne de l’autonomie dont elle leur est redevable ? Quel usage a-t-elle fait de son indépendance ? Quels germes de vie a-t-elle développés dans les limites qu’elle veut déjà franchir ? Quelles aptitudes politiques a-t-elle manifestées ? Quels sont ses titres à un accroissement de territoire et de puissance ? L’histoire du royaume hellénique, qui a pourtant vingt-deux années d’existence, est loin d’apporter à ces questions des réponses favorables. C’est une histoire pleine de confusion où se heurtent et se mêlent toutes sortes de mesquines intrigues, de désordres publics et de luttes personnelles, qui choquent, fatiguent et rebutent l’esprit le plus bienveillant. Il résulte de cette expérience de vingt-deux ans que, si le peuple grec