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qu’il faut demander le respect d’une règle de la conscience confondu ici avec l’observation d’un repos utile aux forces de l’homme. Il y a malheureusement au fond de bien des esprits une tendance qui ne date point d’aujourd’hui, et qui consiste à faire partout intervenir l’état, à lui remettre le soin des œuvres difficiles, à le constituer l’arbitre, le régulateur universel. Il en résulte que dans notre pays tout tend incessamment à converger vers l’état, intérêts, affaires de conscience, plaisirs même : l’état semble être le gérant responsable de notre vie et de nos actions, et comme tout se coordonne à cette pensée de l’omnipotence du pouvoir public, on finit par arriver à un point où rien n’est possible sans lui.

On l’a vu récemment par la transformation nouvelle que vient de subir le crédit foncier. Depuis sa naissance, la banque foncière a marché pas à pas vers cette transformation, devenue définitive en ce moment. Déjà l’an dernier, lorsque la société de crédit foncier de Paris étendit ses opérations à la France presque entière, il était visible qu’une telle entreprise, embrassant tout le pays, serait inévitablement conduite à la place qu’elle vient de prendre parmi les établissemens soumis à la direction de l’état. Tel est en effet le sens des décrets qui viennent d’être rendus. C’est l’état qui nomme le gouverneur, les sous-gouverneurs, les agens de la banque du crédit foncier ; c’est lui qui surveille directement toutes les opérations. L’avantage de la mesure récente est de faire disparaître un certain nombre de formalités que le gouvernement avait cru devoir imposer à la société comme garantie d’ordre public en quelque sorte ; elle supprime par exemple le maximum du taux d’intérêt, elle facilite les prêts à courte échéance. Comme le dit l’exposé des motifs du ministre des finances, la société gagne en liberté d’action ce qu’elle perd en indépendance. Ainsi donc les institutions de crédit foncier entrent dans une période nouvelle. L’intervention active et permanente de l’état leur assurera sans nul doute des avantages. Ces avantages ne seront-ils pas compensés par des inconvéniens ? C’est l’expérience qui le dira. Ce que nous y voyons pour le moment, c’est la confirmation de cette tendance qui ramène tout à l’état, et semble laisser si complètement impuissans les efforts dus à l’initiative individuelle. Ne serait-il point préférable de voir cette initiative intervenir plus fréquemment, manifester son action et se suffire à elle-même ? La vie individuelle, la vie locale, voilà malheureusement ce que bien des causes ont affaibli par degrés dans notre pays depuis longtemps. L’état d’ailleurs gagne-t-il beaucoup à ces tendances ? S’il a plus de pouvoir. Il a plus de responsabilité, il est le point de mire de plus de haines et est exposé à plus de révolutions.

Quoi qu’il en soit, c’est une des conditions de notre pays, et ce qui se vérifia dans le domaine des intérêts, on peut le voir partout dans le domaine de l’esprit et des arts. C’est ainsi que l’Opéra vient d’être rattaché à la liste civile et d’être placé dans la dépendance du ministre d’état. C’est le premier président de la cour de cassation, M. Troplong qui a eu la mission d’exposer les motifs de cette transformation de l’Académie impériale de Musique. Ce n’est pas la première fois que l’Opéra se trouva dans ces conditions, et il y a an effet dans les institutions de ce genre quelque chose qui semble naturellement appeler une protection spéciale. On ne saurait cependant s’y