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Sardaigne à la merci de l’Autriche, n’était-ce pas la meilleure manière de manifester son indépendance ?

La question qui s’agite aujourd’hui pour le Piémont, c’est de savoir, après les dernières commotions, ce que les hommes feront de ce régime constitutionnel, qui peut être à son tour un élément de force ou de faiblesse, un élément nouveau de puissance et d’influence, ou un élément de décomposition. Il y a des esprits qui dans la liberté politique ne voient qu’un moyen de continuer par la discussion la guerre contre l’Autriche, d’entretenir les surexcitations, de raviver sans cesse, par des déclamations passionnées, l’instinct national, pour le tenir prêt à toutes les entreprises. C’est là un piège pour le Piémont, comme il se cache toujours un piège dans la surexcitation permanente d’un sentiment qui ne peut se satisfaire. Il y a quatre siècles déjà que le pape Félix V, qui était de la maison de Savoie, écrivait à son fils le duc Louis : « C’est bien de s’agrandir et de s’étendre ; mais, pour le faire il faut avoir des troupes instruites, de l’argent et un bon titre. » Un bon titre ! là est la question. Quel est l’avenir réservé au Piémont au-delà des Alpes ? quel est même l’avenir réservé à l’Italie tout entière ? Nul ne saurait le dire. Ce qu’on peut affirmer, c’est que les peuples italiens, s’ils se laissaient tenter par le spectacle des complications européennes, n’aboutiraient sans doute qu’à renouveler l’histoire palpitante encore du peuple grec, et le gouvernement sarde est assez sage pour le sentir. L’ambition qu’il a bien le droit de nourrir ne peut être de celles qui se fraient un chemin à travers les embarras du monde.

Il y a dans la liberté politique pour le royaume sarde une autre faiblesse d’un caractère tout intérieur. Depuis plusieurs années, on le sait, d’irritans débats religieux s’agitent à Turin. Limitation du droit ecclésiastique, biens du clergé, organisation du mariage civil, toutes ces questions sont devenues l’aliment de la plus malheureuse guerre entre l’autorité religieuse et les pouvoirs politiques. Les relations de l’était et de l’église n’ont plus été qu’une série de conflits dont la responsabilité est au moins partagée. Qu’on y réfléchisse : là est le véritable danger du Piémont, et, je l’oserai dire, du régime constitutionnel établi à Turin. La gravité de ces luttes, en dehors même de l’ordre religieux, au point de vue national, est dans les déchiremens qu’elles entraînent, dans le trouble qu’elles jettent au sein de populations simples et droites, dans les atteintes qu’elles portent à l’unité morale du pays. Tout ce qui envenime ou entretient ces divisions, ces déchiremens, tourne nécessairement en cause de faiblesse pour la nation, en altérant cette cohésion vigoureuse, cette sève primitive qui fait sa force, — et tout ce qui altère cette cohésion diminue fatalement l’efficacité de la politique du Piémont. Appliquer