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le régime constitutionnel dans un esprit conservateur et prévoyant, maintenir sans doute l’indépendance du pouvoir civil, mais sans se croire trop obligé par des entraînemens de logique à des réformes précipitées, prendre de la liberté ce qu’elle a de compatible avec les habitudes de discipline d’un peuple formé par l’action et pour l’action, telle est donc la juste et vraie politique du Piémont, autant qu’elle puisse résulter de son histoire, de ses besoins et de ses tendances. Il y a un terrain de réformes prudentes, mesurées, sagement conduites, où l’église et le gouvernement peuvent indubitablement se retrouver encore, dût cette alliance nouvelle avoir à vaincre la résistance des opinions extrêmes. C’est à ce prix que le royaume sarde peut rester la partie robuste de l’Italie, le noyau vigoureux de toutes les combinaisons de l’avenir.

Ce que le Piémont a eu en 1848 pour le préserver du naufrage, c’est justement ce qui a manqué au reste de l’Italie. Au moment où se dessinait avec le plus de puissance le dernier mouvement italien, la péninsule avait devant elle deux politiques bien claires, — l’une qui consistait à suivre l’impulsion de princes réformateurs et à rester dans les limites d’un progrès modéré, — l’autre qui se réduisait à tout sacrifier au fétichisme de quelques sinistres utopies. Elle s’est précipitée dans cette dernière voie, ou plutôt, par je ne sais quelle fatalité, elle s’est trouvée sans défense contre l’action dissolvante de l’esprit révolutionnaire. Ses espérances les plus légitimes, elle les a vues compromises dans une funeste solidarité avec tout ce qui était une menace pour les sociétés, pour la civilisation. Alors s’est relevé le terrible dilemme auquel reviennent toujours les sectaires : l’Italie républicaine ou absolue, c’est-à-dire l’anarchie ou le despotisme ! Le problème a été résolu comme il l’est toujours. La péninsule a eu l’anarchie, qui a appelé la force pour la dompter, et ce mouvement éclatant de 1846 et 1847 a fini par la journée du 15 mai à Naples, par l’intervention française à Rome, par l’envoi d’une garnison autrichienne à Florence et par le retour des pouvoirs absolus dans toutes ces contrées. « L’incapacité et l’ignorance, dit Gioberti lui-même, ont coopéré à la ruine de la régénération italienne ; mais l’immoralité des sectes et la corruption des individus l’ont enfantée. » Voilà l’histoire de ces dernières années ! Elle reste écrite en traits éloquens dans les désastres de la papauté comme dans les défaites de Charles-Albert. Tous les élémens de destruction se sont soulevés à la fois, et l’Italie a laissé dans l’histoire un exemple de plus de ce que peut l’alliance du triste génie des rivalités locales et du génie plus malfaisant encore de toutes les passions révolutionnaires.


CHARLES DE MAZADE.