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écrevisses, je cueillais des noisettes pour mes cousines ; je trouvais toujours quelque chose pour m’occuper. Les oiseaux avaient-ils fini leurs chansons de la nuit tombante, je rentrais chez moi plus gai qu’un jour de bonne vendange. Mes camarades me reprochaient ma sauvagerie, et d’abord cela me chagrina ; mais j’en pris bien vite mon parti, et je finis par n’y plus faire attention.

Ma vie s’écoulait ainsi fort tranquillement. Mon maître était content de moi. Dans le cas où je viendrais à le quitter, plusieurs propriétaires m’avaient offert leurs vignes. Je les avais remerciés ; pour ma part, j’étais fort attaché à mon maître : il avait été celui de mon père et de mon grand-père, et puis c’était un brave monsieur qui mettait les gens à leur aise, et pas de ces renfrognés comme j’en connais. Jamais de difficultés pour les partages ni pour régler les travaux d’hiver. Ma tante ne cessait aussi de me soutenir de ses conseils. — Du courage, me disait-elle, du courage, Jean-Denis ! Ton affaire ira bien. Sais-tu ce que disaient les anciens ? Qui travaille file de l’or. Ta quenouille est bien emmanchée, ne t’endors pas sur la bobine. Quand tu vas à la vigne, pars avant jour et ne reviens qu’aux réverbères. Il faudra bientôt te marier, tu es trop seul. Tu as besoin de quelqu’un pour te raccommoder ton linge et te porter la soupe. Et puis, vois-tu, Jean-Denis, ceux qui ne se marient pas finissent toujours par faire pleurer leur ange gardien ; mais tu es bien jeune encore : il te faut d’abord tirer au sort, et puis nous verrons. En attendant, fais que chacun dise que tu es un bon sujet.

Ces sages conseils me faisaient un bien extrême, il me semblait entendre ma mère ; ma tante avait sa voix, son accent, toutes ses manières de parler. Je ne sortais jamais de près d’elle sans me sentir plus de force à l’âme ; mais il arriva une chose qui ne m’écœura que trop et fit pousser bien de l’herbe dans mes vignes.

Un soir que j’étais chez ma tante, on causait des nouvelles de la ville. — À propos, me dit ma cousine Pierrette, qui revenait de journée, tu ne nous disais pas que tu vas avoir des voisines ? — Des voisines ? fis-je. Et qui donc ? — Il paraît, me dit-elle, que tu es comme la poule, qui est la seule à ne pas savoir ce qu’il y a dans son œuf. Eh bien ! oui, l’étage au-dessous de ta chambre vient d’être loué par une vieille dame : c’est Fanchette Rigaud qui me l’a dit ; ainsi la chose est certaine. — Et sait-on le nom de cette dame ? demandai-je. — Elle s’appelle… attends… Mme Roset. — Hortense Roset ! s’écria ma tante ; est-ce bien possible ? Nous avons fait notre première communion ensemble ; que de fois ne sommes-nous pas allées nous promener ensemble le dimanche après vêpres ! C’était une bonne personne ; je ne l’ai pas revue depuis qu’elle a épousé son contrôleur… — Qui vient de mourir, ajouta Pierrette. Cette dame a une pension