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y a de grandeur et de force dans ces institutions primordiales ont a profondément impressionné dès le début de nos recherches : le temps n’a fait qu’accroître cette impression. — La rigoureuse observance des lois de Manou, à aucune époque, a-t-elle jamais été constatée ? A-t-elle pu même être inférée des témoignages ou conclue des traditions les plus respectables ? Un vaste empire s’est-il formé et s’est- il maintenu pendant des siècles sous l’influence exclusive de ces lois ? il est permis d’en douter ; mais ce qui n’est pas douteux, c’est que des millions d’hommes ont foi dans cette législation, c’est que, dans leur ensemble et comme système social complet, les lois de Manon n’ont pas cessé, depuis des milliers d’années, de gouverner la société hindoue et d’exercer une influence marquée sur les races que les décrets de la Providence ont introduites comme élémens nouveaux dans la grande famille hindoustany. Ainsi le rôle assigné à ce vaste système social a occupé et occupe encore une place des plus importantes dans l’histoire de l’humanité. Là où se trouvaient la grandeur et la force devait se trouver la durée, et l’histoire des trois derniers siècles prouve qu’aujourd’hui encore l’antique organisation dont nous admirons les proportions gigantesques doit être respectée, et que sur cette base la domination européenne doit faire reposer l’avenir de l’Hindoustan.

Où ont abouti les autres civilisations antiques ? La Babylonie, l’Assyrie, l’Égypte, ne vivent plus que par leurs monumens en ruines et leurs inscriptions mutilées : leurs peuples ont disparu. Le peuple juif a cessé d’exister comme corps de nation ; il est réduit, par une dispersion fatale, à ne plus peser dans la balance du monde. Les civilisations grecque et romaine ont laissé sur le globe leurs traces lumineuses ; mais il n’y a plus de Grecs ni de Romains. L’empire chinois enfin, le plus vaste et le plus peuplé qui se soit formé parmi les hommes, a pu se maintenir pendant des milliers d’années, il est vrai, avec ses rites et ses pratiques superstitieuses, grâce au principe absolu de l’autorité paternelle personnifiée dans ses souverains, grâce surtout à la politique de l’isolement ; mais il est aujourd’hui en pleine décadence : la moralité, l’existence même d’un pouvoir souverain ne s’y manifestent plus que par de vaines proclamations. La pratique gouvernementale a perdu son unité, ses moyens d’action. L’organisation, qui fait la force des nations, croule de toutes parts, et la nationalité chinoise est menacée par des révolutions qui démembreront l’empire, en même temps que le caractère chinois, étranger à toute conviction, à toute habitude vraiment religieuse, se montre de plus en plus disposé à subir les influences occidentales qui sont destinées à le transformer dans un avenir prochain.

La civilisation hindoue au contraire, bâtie sur le roc de la