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Le traducteur préfère sa version :

Tout à coup le vent tombe, et la rame lassée
Lutte péniblement contre l’onde affaissée.

Ces deux citations suffisent pour faire juger le procédé de M. Barthélémy : en cherchant à exprimer l’image latine, il la dénature presque toujours ; sa concision tourne à la sécheresse ; l’exagération même de la richesse de ses rimes fatigue par la monotonie des assonances, et souvent rien n’est plus éloigné du texte que cette version tendue où l’effort se trahit sans cesse, ce qui n’empêche pas M. Barthélémy de dire dans une note : « Si Virgile prenait ma traduction française, tout informe qu’elle est, et la voulait mettre en vers latins, son œuvre, comparée à la mienne, serait d’une incontestable infériorité. » M. de Marcassus se contentait de dire : Fasse mieux qui pourra !

Après Horace et Virgile, Ovide et Martial ont toujours occupé le second rang dans la faveur publique ; mais Martial, même au XVIe siècle, a été plutôt imité que traduit. Il n’en est pas ainsi d’Ovide, car dans une période d’environ cent quarante ans, nous avons compté trente traductions des Métamorphoses, seize de l’Art d’aimer, et vingt-huit des Épitres. En 1801, la version en vers de Saint-Ange obtint un succès presque égal à celui des Géorgiques, et de notre temps même les morceaux choisis publiés par M. de Pongerville sous le titre d’Amours mythologiques ont été accueillis avec l’intérêt qui s’attache aux poèmes originaux. Quant aux poètes érotiques, ils ont été plus populaires au siècle dernier que de nos jours, et ils ont surtout exercé sur la littérature des boudoirs une très grande influence. L’auteur de l’Art d’aimer et le chantre de Lesbie, musqués, poudrés et surtout affadis, ont reparu en manchettes et en jabots dans Gentil Bernard et dans Dorat. La traduction de certains détails a effrayé les poètes de notre siècle, et la plupart de leurs interprètes se sont bornés à les traduire en prose, en voilant par des périphrases les nudités antiques. On n’a point eu pour Juvénal les mêmes scrupules. Sa qualité de moraliste a fait accepter ses hardiesses, et comme Thomas s’était chargé de prouver dans la tirade sur Messaline qu’on peut tout dire en français quand on dérobe la crudité du fond sous la pudeur des mots, il semble que son exemple ait excité le zèle des traducteurs. De 1770 à notre temps, les satires de Juvénal ont été reproduites en vers une quinzaine de fois, et, malgré les difficultés sans nombre que présente le texte, ces diverses interprétations ont été assez heureuses. Du reste, quel que soit le mérite des traductions en vers, elles n’arrivent pas comme les nouveautis jusqu’à la masse du public, et il faut se reporter à la publication du Lucrèce, de M. de Pongerville, c’est-à-dire en 1823, pour trouver dans ce genre ce qu’on appelle un succès littéraire. On était alors au plus fort de la guerre du romantisme, les classiques étaient proscrits par les novateurs, et M. de Pongerville eut l’heureuse témérité de faire revivre Lucrèce dans la langue classique. L’auteur présenta son œuvre au roi Louis XVIII, qui en accepta la dédicace. Ce prince cita de mémoire un passage assez long, en ajoutant : « J’ai toujours aimé le poète dans ce grand sire, répondit M. de Pongerville, J’ose dire à votre majesté qu’elle ne doit pas non plus haïr le philosophe. — Non certes, reprit le prince ; mais chut !… le roi nous entend. » Lucrèce