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« Ne croyez pas, milord[1], y disait-il, que nous voyions plus en noir que les circonstances ne l’exigent impérieusement, ne croyez surtout pas que nous admettions la possibilité qu’il pourrait exister un moyen matériel quelconque d’influence de la part de l’étranger sur la France qui ne serait pas condamné par nous comme positivement dangereux ; mais il ne faut pas se cacher que le sort de ce pays est placé hors de la possibilité d’être positivement calculé, et c’est ce fait que nous regardons comme le pire de tous. Les maladies aiguës sont préférables, en politique comme pour les individus, aux maladies de langueur enracinées. Ce que je vous demande est ce qui, de tout temps, eût dû exister, l’uniformité la plus entière de la marche de nos représentans à Paris. Voulez-vous qu’ils parlent ? Eh bien ! que ce soit d’une manière uniforme. Voulez-vous qu’ils se taisent ? Que tous se taisent. Il est peu de points sur lesquels il est plus facile de juger des dangers dont est menacée la dynastie royale en France que tout juste du point de Vienne. Le bonapartisme se couvre vis-à-vis de nous d’un voile infiniment plus léger que vis-à-vis de tout autre. Le fait est simple ; mais plus il est tel, plus il est dans le cours des choses naturel que nous devons être les plus directement appelés à avertir nos amis… Croyez que nous connaissons assez les positions pour savoir que tout ce qui est désirable n’est pas toujours possible… »


Pendant que les alliés délibéraient, ou, pour mieux dire, dissertaient ainsi sur l’état de la France, un grand changement venait de s’y accomplir : le duc de Berri était tombé, le 13 février 1820, sous le poignard du fanatique Louvel. Les ultra-royalistes avaient mis à profit la douleur et l’indignation publiques pour soulever contre le principal ministre une véritable tempête. Louis XVIII s’était vu forcé de congédier son favori, dont la vie même était menacée, et le duc de Richelieu, faisant céder ses répugnances et sa lassitude à l’intérêt du pays, aux instances du roi, aux supplications de Monsieur lui-même, avait repris la présidence du conseil. Le résultat de cette modification du cabinet fut, non pas de terminer la lutte terrible dans laquelle les partis étaient engagés, mais de mieux établir leur position réciproque. Tandis que d’un côté, par suite de la retraite de M. Decazes et de la proposition aux chambres de mesures exceptionnelles dirigées contre la liberté individuelle et la liberté de la presse, toutes les nuances de l’opinion libérale se coalisaient en une formidable opposition, de l’autre l’ancien parti modéré s’unissait étroitement aux ultra-royalistes pour le vote immédiat de ces mesures, et pour assurer plus tard celui d’une nouvelle loi électorale, dans laquelle on voyait le seul moyen de salut pour le pays. Les ultra-royalistes, satisfaits pour le moment de la chute de M. Decazes et trop affaiblis d’ailleurs par les dernières élections pour être bien exigeans, promettaient un appui sans réserve au duc de Richelieu.

La correspondance de l’ambassadeur d’Angleterre à Paris contient,

  1. L’original de cette lettre est en français.