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solides, que les ressources propres à la guerre peuvent s’y déployer sans difficulté. Depuis plus de vingt ans, sous la domination des tories comme sous celle des whigs, et quel que soit l’homme d’état qui dirige les affaires, le gouvernement de cet heureux pays travaille à soulager la nation en diminuant les dépenses publiques et en donnant une meilleure assiette à l’impôt. Deux ministres en ont principalement la gloire : M. Hudkisson, qui reconnut et proclama le premier que les taxes modérées, pourvu qu’on les établit sur des objets de grande consommation, étaient les plus productives, — et sir Robert Peel, qui mit fin au règne de la protection en matière d’industrie et de commerce, tant en réduisant les droits d’importation qui grevaient les marchandises étrangères qu’en affranchissant de tout droit les denrées alimentaires et les matières premières du travail. Le système inauguré par M. Hudkisson, et dont sir Robert Peel semble avoir posé les limites, tend à réaliser cet idéal de la civilisation par son côté matériel, la vie à bon marché et le taux élevé des salaires. Il en résulte non seulement pour l’ouvrier un progrès de bien-être et de dignité, mais encore pour l’état un accroissement de puissance, la certitude de commander a une population disposée par l’aisance et par le contentement aux sacrifices que peut exiger l’intérêt public.

Sir Robert Peel, en opérant le déplacement de l’impôt, a rendu à l’Angleterre un service qui n’est pas moins considérable. Avant les réformes de 1842 et 1846, les taxes indirectes, les taxes de consommation, alimentaient à peu près exclusivement le revenu de l’état. Les contributions directes, celles qui s’adressent à la richesse mobilière ou à la propriété, ne figuraient au budget que pour la forme. Les contribuables payaient tribut au fisc, non pas dans la proportion, mais plutôt en raison inverse de leur fortune. C’était en quelque sorte le système de l’impôt progressif retourné : le trésor ne demandait au possesseur du sol qu’une imperceptible obole ; il prélevait au contraire sur le thé, sur le sucre, sur le café, sur la bière et sur le pain du laboureur et de l’ouvrier le gain le plus clair de leur journée. Le budget était dépensé par les riches et payé par les pauvres. Sir Robert Peel a prouvé que les réformes préviennent les révolutions : le déplacement de l’impôt a rendu inutile le déplacement du pouvoir. Aussi la tempête de 1848 a trouvé l’Angleterre inébranlable.

Sir Robert Peel a introduit ou étendu l’impôt direct dans le système financier de la Grande-Bretagne, sous la forme de L’income tax. Sans doute l’on aurait pu atteindre le même but par des moyens politiquement et scientifiquement moins contestables ; mais l’impôt sur le revenu avait pour lui en Angleterre la sanction d’un long usage qui avait familiarisé la nation avec son mécanisme, et la nécessité