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de la production. En considérant la question d’un point de vue moins scientifique, M. M’Culloch dit, dans son ouvrage sur l’impôt, à propos des dépenses que la guerre amène : « l’industrie et l’économie des individus peuvent seules compenser avec quelque efficacité les profusions et les ravages de la guerre. Pour mettre ces vertus en honneur, il faudrait que chaque homme pût se rendre un compte exact de l’influence que les dépenses de la guerre exercent sur sa fortune et sur les moyens qu’il a de subsister. Le défaut capital du système des emprunts consiste en ce qu’il trompe le public en ne troublant pas soudainement le bien-être de chacun. Ses empiétemens sont graduels et passent inaperçus. Il n’exige sur le moment que de légers sacrifices ; mais il ne revient jamais sur ses pas : vestigla nulla retrorsùm. C’est un système d’illusion et de déception. Il ajoute les taxes aux taxes, sans que l’on puisse jamais abolir aucune de celles qui ont été ainsi établies, en sorte qu’avant que le public s’éveille au sentiment du danger, la propriété et le travail se trouvent grevés, à titre permanent, d’un tribut annuel beaucoup plus considérable, pour servir l’intérêt de la dette, que celui auquel il aurait dû se soumettre pour défrayer les charges de la guerre à mesure que la nécessité s’en présentait. » Mais quelque force qu’aient les motifs tirés de la science économique, je ne trouve pas moins puissantes les raisons de l’ordre moral. Les dépenses de la guerre sont le frein moral que le Tout-Puissant impose à l’ambition des conquêtes. Il y a dans la guerre un attrait et une excitation qui tendent à la revêtir d’un certain charme pour le peuple, et à lui fermer les yeux sur les maux qui en sont la conséquence. La nécessité de pourvoir année par année aux charges que la guerre détermine est un frein salutaire et sûr. Les hommes sont ainsi amenés à réfléchir, à comparer les avantages qu’ils se promettent avec les sacrifices qu’il leur en coûtera pour les obtenir. »


Les raisonnemens de M. Gladstone, flanqué comme il se présente de la double autorité de M. Mill et de M. M’Culloch, ne sont pas à beaucoup près sans réplique. Le gouvernement anglais fait une entreprise morale et courageuse, en tentant de soutenir la guerre à l’aide des sacrifices que s’imposent les contribuables, en évitant de s’engager sur la pente séduisante de l’emprunt : c’est un devoir pour les gouvernemens de réserver l’avenir intact, quand ils le peuvent ; mais il ne faudrait pas exagérer les conséquences de cette doctrine ni l’ériger, sans égard aux circonstances, en principes qui ne doivent jamais fléchir. C’est ici que l’appréciation des faits vient à propos éclairer la politique. La guerre a tantôt pour but un avantage présent, et tantôt elle peut se proposer la grandeur ou le repos des générations à venir. Dans ce dernier cas, l’emprunt est légitime ; il n’y aurait ni équité ni prudence à porter intégralement les frais de la lutte au compte de l’impôt.

Quant à la distinction inventée par quelques économistes anglais, et qui consiste à dire que l’impôt puise dans l’excédant du revenu, tandis que l’emprunt entame le capital même de la nation, ce n’est qu’une subtilité qui nous paraît peu digne de la science. Les nations